Retour à la page d'accueil

Pages critiques

Le Nouveau recueil

Anthologie

Galerie

Traductions

La Poésie d'aujourd'hui

E.mail

Rechercher...

D'autres sites

à paraître, à lire

Dernière minute


In English


Textes poétiques

Essais critiques

(poésie, prose, peinture...)

 

Jean-Luc Steinmetz

Chute libre dans le matin

Le Castor Astral, 112p. 78F.


par Jean-Michel Maulpoix

 

Quand la modernité poétique vit le jour, au milieu du XIXème siècle, il s'agissait pour les successeurs de Baudelaire d'inventer de l'inouï. Le dernier vers des Fleurs du mal, dans l'édition de 1861, fixait ce qui allait constituer le programme poétique de Rimbaud: plonger "Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau".

C'était alors valoriser comme tâche, destinée, ou vocation, l'expérience d'un égarement ou d'une perte que le poète d'aujourd'hui vit désormais plutôt comme une situation ordinairement fatale. Celle-ci ne tient plus à un quelconque statut électif, mais correspond plus simplement à la conscience inquiète que prend un homme du décousu de sa propre existence, aléatoire, constamment mise en doute, privée de repères ou d'attaches, livrée toute aux jeux hasardeux du langage et de l'histoire.

Jean-Luc Steinmetz, universitaire spécialiste de Rimbaud, mais également poète, naguère lié aux expériences avant-gardistes de la revue TXT, dessine lui-même de livre en livre une trajectoire en "chute libre" qui le conduit à traverser désormais l'épreuve de son propre "inconnu" sans appuis d'aucune sorte. Ce que naguère il recherchait et cultivait sur le mode rimbaldien à la façon d'un projet résolument moderniste, s'impose à présent à lui comme l'irréductible noyau de l'expérience même de vivre et d'écrire.

Une "Chute libre dans le matin", telle devient la poésie quand au rêve de maîtrise du sens (ou de la rupture même) succède la vérité de l'égarement: "Je n'ai pas moins d'étrangeté aujourd'hui qu'autrefois/ Quand je posais contre l'arbre une joue imberbe". Les "inventions d'inconnu" que réclamait naguère Rimbaud se décident alors à la jointure du corps, du monde et de la langue. Elles sont faites aussi bien des minuscules événements que le langage recueille et enregistre là où quelqu'un se tient, que dans l'agencement même des mots que le sujet convoque pour dire le temps qui le dévore. Ces "inventions d'inconnu" sont pareilles à des bruits d'osselets et des chutes de langage. La posture du poète pourrait être figurée par un cosmonaute flottant dans le sans-fond et le sans-fin de la langue, articulant tant bien que mal entre suspens et chute. L'ozone de son désir s'éparpille en images. Son corps est d'une curieuse syntaxe.

L'écriture très elliptique de Jean-Luc Steinmetz accomplit dans les brisures mêmes de ses vers le mouvement d'allègement d'un sujet en proie à son propre inconnaissable.Une liberté paradoxale se dessine ainsi sur la page, "quand la plus neuve poésie avoue / l'ancienne plaie qu'elle n'étanche pas."


© Jean-Michel Maulpoix