Guy Goffette et Pierre
Oster, au Marché de la poésie, Paris,
juin 2001
LA TERRE
(10/10/1995)
Poème de Pierre Oster
La
terre, les rochers... Les rochers, les
maisons,
la
nuit même,
La
nuit, la plaine et la mer fondent un
savoir
proche
des murs.
Puis,
là-bas, le soleil masque sa solitude
avec
la
nudité des choses,
Brise
le ciel des flaques, échafaude un
bûcher
sur
un lac.
La
plaine, et la mer ! La prairie, les
maisons. La
campagne,
Dans
les champs litérés par l'hiver, par
l'hiver
librement
vaincus,
La
campagne à mes pas se ranime et les
chemins
nous
portent.
Le
matin &endash; minceur des haies !
&endash; baigne le dieu du
Tout,
De
l'ancienne présence. Ah ! voici que
découlent
des
plantes
Des
torrents de sève ! Et les eaux dans
les nasses
du
sol
Se
répandentÖ Aux confins de la vaste
prairie
et
du fleuve,
La
vérité du fleuve et la vérité de la
prairie. Un
feu
Dans
les feuillages, un feu près des
villagesÖ Un
dieu
secret nous comble.
Ses
dons, la nuit magnifiquement les cache
; ou les
restitue
à ton ardeur
Face
au soleilÖ Tu dois donc les défendre
et com-
prendre
La
plaine avide, la mer aride -! Et
vouloir que le
jour
Progresse
! Ouvre les mains, la terre dort.
Inter-
roge,
Invoque
en dehors des mots le murmure de
l'air.
Les
mots,
Les
mots que je tais s'achèveraient en
combats
monotones,
Si
nous ne pénétrions le camp des saisons
; ne ten-
tions,
De
brin d'herbe en brin d'herbe, embruns
de la
rosée
et des vagues,
De
rompre une énigme heureuse ; ah ! ne
redou-
tions
d'avoir part
Au
poème impossible et favorable ! Une
grange
protège
Comme
un bruit magique ; une charpente,
arra-
chée
aux bois,
Fait
la majesté d'un lieu de pérennité. Le
poème
brille
Sur
les figures que je contemple et que le
temps
dépeint
Dans
les parages d'un orage ! À l'entrée,
en deçà
de
la ferme,
À
l'ombre d'un portail, à bord de
souverains vais-
seaux,
Notre
gloire est de sentir que la profondeur
nous
soulève
Jusqu'au
sommet des montagnes ! Et, dès
avant
que
midi
N'ait
au nom du jour reconquis la nuit, la
plaine
infidèle
et fidèle,
La
plaine, au large, amas de pierres ou
puissants
écueils,
La
mer avec le ciel recule. Ordre et
mesure et dé-
sordre,
Je
le cède à la splendeur des fleurs ! Je
ne renie
pas
L'espoir
de connaître ou d'envahir, d'affronter
tant
de routes,
Tant
de jardins bientôt découverts par la
marée !
Vénus
À
pleines robes nous caresse. Ah ! la
nuit délicate
détisse
La
voile où la nature oscille ; où la
prairie voyage ;
où
Les
eaux - du seuil des métamorphoses -
imitent
la
solitude
Du
soleil, composent la nudité qu'il a
vêtue. Ah !
de
hauts
Nuages
naviguentÖ Un souffle pousse une
petite
flamme,
Les
éléments brûlent ! Et la flamme au
pourtour
des
champs
Révèle
aux roseaux la base des arbres. En
nous,
à
côté de nous, je décèle
La
chaste éclosion, le tombeau de féconds
bour-
geons
Tachés
de mielÖ Maître des sources et du
trajet
de
la lymphe,
Le
premier dieu de grotte en grotte a
plusieurs
fois
frémi,
Dans
l'abri le plus précieux. Je le devine,
lui
demande
La
clé de l'abîme ! Observer, quêter, de
l'inté-
rieur
des cours,
Les
dons que le jour reçoit tandis que le
dieu
défaille.
Le
brouillard, sur les tôles des hangars,
se ré-
sout,
Guide
obscur ! Et quelqu'un, sans que les
cloches
résonnent,
Dans
sa tranquillité vigilante a lancé une
prière ;
a
crié,
Du
fond de la nuit presque humaine, une
piété
intrépide
!
Ma
piété s'adresse aussi peut-être à qui
s'en va.
D'est
En
ouest les nuages s'espacent, occupent
le laby-
rinthe
Que
sous nos yeux la mer recreuse en
abandon-
nant
des lambeaux
Du
manteau céleste ! Étoffe où le
marcheur s'en-
roule,
Il
s'en empare et ne l'oublie pas. Déjà
l'impa-
tient
matin
Hisse
une faible voile, habille un destin de
nau-
frage,
Refuse
et présage un passage incertain !
Captifs,
fugitifs,
Que
n'usons-nous &endash; debout !
&endash; du droit d'explorer
la
poussière,
La
poussière, notre fortune ! Incorporons
la cor-
ruption
Puisque
le feu des cercles éternels joue sur
nos
épaules,
Au
fil de la sève s'épanche et dans ma
chair.
La
nuit
Nous
condamne aux assauts de la pluie sur
la
cabine
De
ce tracteur. Rien ne demeure qui ne
s'efface.
Et
rien ne meurt
Devant
les lames de la charrue. Advient,
survient,
très
vite,
Un
printemps beaucoup trop doux pour
qu'il neige
en
avril,
Trop
froid pour que nous convoitions
l'immensité
de
la paille !
L'hiver
s'amenuise et mon âme apprivoise le
vent.
Au-dessus
du pavois
Des
champs épars, à l'aplomb de mainte
meule bâ-
chée
D'une
bâche bariolée, le vent se cabre. Ah !
quatre
chevaux,
Cinq
! Le soleil nous les dispute et les
touche ! Un
geste
Te
rattache au royaume animal. Tu les
flatteras !
La
soumission
Vous
inspire. Ils t'obéissent, tu les
exauces. Ado-
rateur
de météores,
Tu
pries cependant les vainqueurs du
domaine des
puits,
De
la margelle universelle et de l'humus.
Le pay-
sage
Sur
l'acier des socs se nuance. Apparition
de mi-
roirs
De
parfaites maresÖ Et la beauté, à son
rythme,
opère
À
travers l'azur, enseigne à l'azur la
triple le-
çon,
La
déchiffre, en invente le thème ! Une
leçon
de
joie,
De
joie ou d'orgueilÖ De joie et
d'orgueil. Ou de
peur,
Peur
que la joie ingénument consume. Et
j'épouse
la
réponse
De
la plaine étale aux arbres silencieuxÖ
L'ins-
tant
L'interprète,
la répète, la divise ! Et c'est sur
lui
que
je médite
Après
qu'il s'est évanoui. Soif, nous avons
faim
et
soif
De
lait, de semence et de sang ! Les
morts mainte-
nant
s'en nourrissent,
Sortent
sans cesse des ténèbres en montrant
leurs
fardeaux,
De
subtils déguisements d'écorce ! Et,
dans l'herbe
aux
discrètes veines,
D'un
saule à l'autre, dans mes vers, et de
pommier
en
pommier,
Le
vent régit les chemins qui nous sont
chersÖ Un
lien
nous délivre
Que
mon ardeur, ma ferveur renoue. Il nous
échoit
de
souffrir
La
plainte héroïque ou la simple voix des
saisons
futures
Sur
le continent de la prairie communale.
Incons-
tant,
Constant,
le soleil est inconstant ! Conquête
intime,
ébauche
D'un
cycle infime de grandeur. Défaite, ou
victoire,
ou
défi,
Je
m'accorde à la matière ! À sa juste
abondance.
À
ses arcanes,
À la
forme des corps, la masse du ciel. Au
sable
intact
Dans
le bruit, dans le choc sacré du
ressacÖ
Le
siècle,
Tel
un appel, tel un écho. Nous y
songeons. Nous
sommes
issus
D'un
sommeilÖ d'un éveilÖ absolusÖ Les
feuilles
lisses,
Quel
délice ! Et le lit du sel brille au
dos des ré-
cifs,
On
croirait d'une illumination des
nations qu'em-
brasse
la houle.
Le
vent ! La sagesse, la fougue. Un
culte, un rituel
fou,
Le
faste des mois dans le berceau des
bois ! Ici,
j'anticipe
Le
retentissement d'un appel au cúur du
prin-
cipe
infini.
La
sève en réalité nous dévore et les
rudes racines
se
tordent.
La
mer, dans les grottes, batÖ Ne pas
plier, ne pas
ployer.
La
mer, le vent la drosseÖ À distance, à
ton rang,
tu
discernes
La
ronde &endash; ou la gravitationÖ
&endash; des grains de pol-
len
!
La
merÖ Sa terrestre lenteurÖ Sève et
lymphe fu-
sionnent,
Refaçonnant
leur unité. À nous, dans le jour
bref,
de
concevoir
Le
crépusculeÖ Au soleil de transparaître
au-devant
du
cortège
Des
champs qui bornent le paradis de
l'étendue.
À
nous
De
nous enclore dans une alliance et
l'humble ten-
dresse
!
De
bénir la foudre et de faire alterner
les dieux.
Je
repars
Sans
but vers la cible du temps. Audace ou
besoin
de
renaître
À
l'amour des haies vives et des
souchesÖ Ah ! dé-
sir
De
courir la plaine ! Et la paix vole en
direction des
montagnes,
De
sereines collinesÖ Au flanc des
meules, des
tumulus,
De
tours que ruinent les saisons. La mer,
l'océan
fossile
Arrime
aux remparts, aux rochers,
d'incomparables
vaisseaux,
Des
vestiges parés de cielÖ Et les bois
parfois rou-
geoient,
Bougent
devant la mer, au bout des champs, sur
le
parcours
Du
feu ! Feu toujours ascendant du foyer
des feuil-
lages,
Toujours
divin, toujours nouveau, toujours
souter-
rain.
Les
chevaux, leurs durs sabots. Le vent
sur nos sim-
ples
traces,
Selon
sa loi disperse ses armées. Nous
demeurons
à la
merci
Apprendre
un discours tacite, entendre un
message
insu.
Saisir
que l'objet du poème est maintenant de
dis-
paraître
Avec
les vagues de la mer ; avec les
sillons ; avec
de
légers réseaux
Tissés
de l'élan des oiseauxÖ Dans le
silence,
les
tourmentes,
Les
délices qu'il engendre ; et les
plaintes que,
nous,
nous lançonsÖ
La
lumière entre les planches agitÖ Des
signes
se
gravent
Sur
la grange à claire-voie ; ou bien dans
l'herbe,
à
l'écart
Des
choses sombres de la campagne ! Alors
les ar-
bres
me rejoignent,
Les
toits recherchent le ciel. Et la joie
atteint
les
paroles d'adieu
Que
dans un souffle que le silence
perpétue
nous
essayons,
Au
ciel superbe et sacré. Les brins
d'herbe
du
désert,
Le
temps les menace. Et nous possédons un
carré
de
chaume
Où
la mer ignore le soleilÖ Des quais,
des bassins,
le
port,
Le
port, les jardins, le portail. Roule
et tangue im-
mobile
Un
bâtiment détaché du rivage des murs.
Je puis
revendiquer
Dans
l'abîme un rival ! Les mots ni leurs
reflets
d'écume
Ne
fixeront aucun fragment du texte aboli
(Ö)
UTINAM
VARIETUR