Mahmoud Darwich
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Le chant de la Palestine
de Mahmoud Darwich
Rien qu'une autre année,
de Mahmoud Darwich, constitue la réédition d'une anthologie personnelle
parue une première fois en 1983 et qui puise dans seize années
d'écriture poétique (1966-1982) dont La Palestine comme métaphore éclaire le parcours et livre quelquefois les clefs.
PAR JEAN-MICHEL MAULPOIX
A lire également
sur ce site, "La vérité a
deux visages et la neige est noire", poème de
Mahmoud Darwich commenté par
Abdelilah Loukili
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Les
premiers poèmes de Mahmoud Darwich font entendre un lyrisme amoureux
dans lequel l'attachement au pays natal et l'expression du sentiment
amoureux tendent à se confondre. La part des éléments naturels est
alors décisive. Symbole de la patrie, la terre est célébrée comme la «
première mère ». Elle constitue aussi la recherche et l'affirmation,
par la poésie, de sa propre existence physique. L'écriture inscrit dans
ces premiers textes une dimension sensorielle dont elle ne s'écartera
pas.
Par la
suite, l'engagement politique apparaît plus net. L'écriture à la fois
se dramatise et se leste d'un rapport plus complexe aux mythes et aux
symboles.
Enfin, dans sa période la plus mûre, cette écriture tend vers une plus large ouverture.
On
assiste alors à une montée en puissance, en efficacité et en
simplicité. La voix trouve les mots les plus nus et emprunte aux objets
les plus familiers. pour dire sa colère ou sa fidélité. : « Nous les
chasserons du pot de fleur et de la corde à linge », « Ma vie
appartient aux mains qui me préparent mon café le matin ». Elle
illustre ainsi parfaitement ce mot de Darwich selon lequel « notre
problème littéraire permanent, à nous, Palestiniens, est que nous
sommes condamnés à être les enfants du moment immédiat, parce que notre
présent ne se résoud ni à commencer ni à finir. »
La parole
poétique réplique à une douleur et la creuse. C'est la douleur de
l'exil. Qu'est-ce qu'être palestinien, sinon connaître l'exil sur sa
propre terre, vivre chez soi comme un réfugié. Mahmoud Darwich est
celui qui vient « d'un pays dépourvu de pays ». D'où une réflexion
aigüe sur l'étrangeté et l'altérité. Qu'il soit social, familial,
amoureux, l'exil est le thème dominant, celui qui appelle la poésie et
auquel celle-ci doit répondre. L'exil en vient à définir pour Mahmoud
Darwich la situation humaine fondamentale.
Dans une
langue rythmée et rimée, le Galiléen Darwich dialogue avec le vers
libre dans une métrique classique.Cette poésie évolue sur plusieurs
registres : le lyrisme épique donnant lieu à des textes où
s'entretissent une temporalité et une thématique complexe, la notation
brusque sur le modèle du journal ou de la caméra, le chant lyrique. Y
dialoguent les dimensions du récit, du dialogue dramatique et de la
fable.
Volontiers, cette poésie interpelle.
Sur le mode de l'injonction :
« Souviens-toi de moi avant que je n'oublie mes mains. »
De la bénédiction :
« Heureux celui qui peut faire avorter le feu dans la foudre »
De la prière :
« Pitié pour les ouvriers de l'imprimerie
pour les murs qui veulent de l'herbe
pour les écrivains dans les notices nécrologiques
pitié pour un peuple auquel nous avons promis l'accès à la rose par la porte des cendres amères »
Du dialogue:
« - Meurs-tu souvent?
- Et je ressuscite souvent. J'attrape mon ombre comme une pomme mûre »
Ou plus généralement sur le mode de l'adresse :
« Mes amis, ne mourez pas avant de présenter vos excuses à une rose que vous n'avez pas encore vue
à un pays que vous n'avez pas visité
à une jouissance que vous n'avez pas atteinte
à des femmes qui ne vous ont pas passé au cou l'icône de la mer et le tatouage du minaret »
On est
frappé par la puissance de feu de ce lyrisme qui ose des comparaisons
hardies et trouve des formules saisissantes : « Il ont vendu mon sang
comme de la soupe en boite », « L'odeur du café est une géographie », «
les oiseaux sont le prolongement du matin », « le fleuve est l'épingle
à cheveux d'une dame qui se suicide. »
En réponse à
ceux qui font de lui le poète de la cause palestinienne, Darwich répète
au fil de ses entretiens combien la dimension politique se veut «
discrète, implicite, non proclamée » dans sa poésie. Il réaffirme que «
le poète n'est pas tenu de fournir un programme politique à son
lecteur. » La force de la poésie tient plutôt à son « extrême fragilité
». sans doute la scène poétique est-elle la scène même de l'Histoire,
mais telle que s'y côtoient les éléments les plus divers et que les
ennemis s'y transforment, selon le mot de Char, en « loyaux adversaires
».
Si le poète
est attentif à l'Histoire, il garde également le regard braqué sur
l'initial et l'originaire afin d'en conserver la mémoire. Il fait se
télescoper l'intime et le collectif, l'amour d'une femme et celui d'une
terre, l'expression du désir de vivre et celle du combat politique. Le
propre du travail du poème est ainsi de donner à la Palestine une
identité en multipliant les images qui étoilent sa présence : femme ou
terre, elle prend corps à travers le double processus lyrique de la
figuration et de la célébration. Elle se conjoint, s'allégorise, se
distribue en éléments nombreux et reconstitue ainsi son paysage.
L'imaginaire sauve ce que l'Histoire brise.
Mahmoud
Darwich affirme une conception ouverte de l'arabité, non comme identité
repliée sur elle-même, mais perçue à travers la langue même comme
pluralisme. Il dialogue dans ses textes avec l'ensemble des
cultures(cananéenne, hébraïque, grecque, romaine, persane, égyptienne,
arabe, ottomane, anglaise et française) qui se sont succédées sur la
terre de Palestine. Et c'est bien ici la voix même qui constitue la
véritable inscription territoriale.
Si
donc Mahmoud Darwich est poète palestinien, c'est à la fois parce qu'il
prête voix à son peuple, mais aussi parce que la Palestine tend à
devenir elle-même une métaphore de la condition humaine.
Ouvrages auxquels fait référence cet
article :
Mahmoud DARWICH
LA PALESTINE COMME METAPHORE,
Editions Actes Sud /
Sindbad, 192 p. 98F.
RIEN QU'UNE AUTRE ANNEE,
Editions de Minuit, 240 p. 80 F.