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La mort d'Orphée

   


 

Du lyrisme de JM.Maulpoix, aux éditions José Corti


A lire :



Pour un lyrisme
                              critique

Pour un lyrisme critique, éd. José Corti, 2009



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LE LYRISME,

histoire, formes et thématique...

par Jean-Michel Maulpoix


La poésie lyrique est souvent définie comme le genre littéraire qui accueille l’expression personnelle des sentiments du poète. L’auteur lyrique parle en effet en son nom propre; il dit “je”.  Cette définition, toutefois, est insuffisante, en ce qu’elle néglige deux autres composantes essentielles du lyrisme qui sont la recherche de la musicalité et la visée de l’idéal. Il convient donc plutôt de percevoir celui-ci comme l’expression d’un sujet singulier qui tend à métamorphoser, voire à sublimer le contenu de son expérience et de sa vie affective, dans une parole mélodieuse et rythmée ayant la musique pour modèle. 

La poésie lyrique doit en effet son nom à la lyre qui, dans l’Antiquité,  accompagnait ses chants. Symbole d’unité et d’harmonie, cet instrument apollinien prend dans le mythe d’Orphée une valeur pacificatrice. Capable de suspendre les supplices des Enfers, il devient le modèle des pouvoirs de la poésie et des liens étroits qui l’unissent à la destinée de la créature humaine.  

Orphée aux Enfers

I.  EVOLUTION HISTORIQUE

Le lyrisme apparaît en France, au Moyen-âge, à travers une myriade de formes associant le plus souvent au poème la musique et la danse : chansons de toile, pastourelles, sérénades, ballades, cansos, tournois, tensons, lais et virelais fleurissent dans le chant des trouvères et des troubadours. Bernard de Ventadour (1150-1200), Richard Coeur-de-lion (1157-1199) et Thibaut de Champagne (1201-1253) comptent parmi les nombreux représentants de ce lyrisme ancien. L’amour courtois est alors le thème dominant des oeuvres les plus savantes, qui se partagent entre intimité et virtuosité. Le jeu codifié l’emporte sur l’expression authentique. C’est dans la seconde moitié du XIIIème siècle, notamment avec Rutebeuf, que le lyrisme entreprend de se dégager de ses stéréotypes. Au XVème siècle, Charles d’Orléans (1391-1465) et François Villon (1431≈1463) imposent deux voix mélancoliques aux accents plus résoluments personnels, l’une précieuse et nourrie d’allégories, l’autre mobile, instable, mais capable d’articuler le sort d’un sujet singulier à celui de ses “frères humains”. 

Pendant la Renaissance, l’espace du lyrisme s’élargit. Légèreté de Marot, allégresse de Ronsard, mélancolie de Du Bellay, virtuosité de Louise Labé et de Maurice Scève: la poésie multiplie alors ses sources d’inspiration et ses formes. La relecture des poètes de l’Antiquité et l’influence de la littérature italienne, conjuguées à l’enthousiasme d’inventer une nouvelle figure de l’homme et du monde, induisent une production poétique très riche. Chez les poètes de la Pléiade, l’ode et le sonnet ouvrent un nouvel espace formel à l’expression lyrique. Ronsard célèbre en 1550 “l’heureuse félicité de la vie”. La ferveur panthéiste et l’influence pétrarquiste le conduisent à multiplier les correspondances entre les beautés de la nature et celles de la femme aimée. Les anciens schémas de la poésie courtoise cèdent peu à peu le pas à une inspiration plus familière. Mais l’époque classique interrompt cette floraison. En valorisant la figure de “l’honnête homme” et en privilégiant les valeurs d’ordre et de hiérarchie, elle entraîne un reflux du lyrisme. 

Encore nombreux à l’époque du baroque, les poètes lyriques se raréfient à partir de 1640. La figure du poète se trouve alors relativisée, sinon dénigrée, Malherbe lui-même va jusqu’à écrire “qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles”. Mondanité et préciosité ne suffisent pas à donner un sens au “commerce des muses”. Le lyrisme trouve alors à se loger hors de la poésie: il n’est absent ni des Oraisons funèbres (1667-1687) de Bossuet ni des tragédies de Corneille, où il anime les stances du Cid, ni de celles de Racine qui comptent quelques-uns des vers les plus mélodieux de la langue française. 

Il faut attendre le milieu du XVIIIème siècle pour assister à un renouveau du lyrisme. Le préromantisme dans la prose sentimen­tale, puis le romantisme dans la poésie tout entière, le font s’épanouir en prêtant voix à la subjectivité solitaire.  Après être demeuré plus d'un siècle sous le joug de l'esthétique classique, le poète redécouvre l'ensemble de ses pouvoirs et les exerce librement. Il émancipe son écriture d'un certain nombre de conventions, en disloquant par exemple l'alexandrin ou en mêlant les genres. Il étend son vocabulaire en ne craignant plus d'employer des mots roturiers qui heurtaient naguère le bon goût. Il élargit également son espace: il ne se confine plus dans une antiquité hiératique, mais s'échappe vers le Moyen-âge ou vers la Renaissance dont les tumultes et le foisonnement de vie le séduisent. Il émancipe sa pensée en y intégrant les idées ou les valeurs nouvelles de la révolution. Enfin, il livre son "moi" et met son coeur à nu. Les Méditations poétiques (1820) de Lamartine, Les Voix intérieures (1837) de Victor Hugo ou Les Destinées  (1864) de Vigny comptent parmi les fleurons de cette poésie nouvelle où l’expression personnelle ne peut être séparée de la méditation morale et philosophique. Le mouvement même de la lyrique romantique conduit le poète à déborder son propre “moi” pour prendre en charge dans son chant la nature, ou le sort de l’humanité. Aux alentours de 183O,  Victor Hugo incarne plus que tout autre les trois domaines du lyrisme nouveau: dramatique dans Hernani, intime dans Les Feuilles d'automne, épique dans Notre-Dame de Paris. Le critique Brunetière résume ce triomphe d'une formule, en écrivant: "avec le romantisme, c'est le lyrisme qui pénètre la littérature entière." Pour préciser cette équivalence entre lyrisme et roman­tisme, il introduit un troisième terme: "l'individualisme". Il résume ainsi sa pensée:"Le Romantisme, dans notre histoire, est un phénomène social carac­térisé par une tendance en tous sens à l'Individua­lisme, et, comme tel, dont la forme littéraire ou poétique ne pouvait être que le lyrisme". 

Il semble alors que le lyrisme ait absorbé toute la la poésie. Mais l’échec de la révolution de 1848 inaugure un âge nouveau dans l’histoire de la lyrique française. A partir du milieu du XIXème siècle, elle se trouve conduite à engager sa propre critique. Les valeurs de création tendent à se substituer aux valeurs d’expression. A la suite de Gautier puis de Baudelaire, l’accent est mis sur la beauté de la forme et sur ses effets. L’effusion se trouve rejetée au profit du travail de l’écriture même. Les Parnassiens réagissent contre les excès du romantisme en prônant “l’art pour l’art”. Formé un temps à leur école, Verlaine dilue dans les brumes de l’impersonnel les contours du “moi”. Rimbaud, plus radicale­ment, rejette avec violence la poésie subjective qu’il juge “horriblement fadasse”. C’est Mallarmé qui pousse à son paroxysme cette crise du lyrisme en prônant la “disparition élocutoire” du poète. Mais de cette succession de remises en cause, le lyrisme sort paradoxalement renforcé. La poésie affirme en effet son autonomie en se déga­geant à la fois de l’expression et du didactisme. Elle en vient à constituer une aventure en soi. Héritiers de Mallarmé, les symbolistes se lancent à la pour­suite d’un art total, ayant l’opéra pour modèle. Ainsi ré­affir­ment-ils l’alliance ancestrale du lyrisme et de la musique, ainsi que le caractère idéal du chant. Au début du XXème siècle, Apollinaire dans “Zone” et Blaise Cendrars dans “Pâques à New-York” (1912) et “Prose du Transibérien” (1913) ouvrent au contraire l’espace du poème aux innovations du monde moderne dont s’étaient détournés leurs prédécesseurs. Ils vont jusqu’à célébrer le lyrisme visuel de la publicité. Les surréalistes prônent, à l’image d’André Breton dans L’Amour fou (1937), “le comportement lyrique” entendu comme attention et obéissance aux injonctions de l’inconscient. Chacune de ces écoles marque ainsi un approfondissement de la notion et un élargis­sement de son champ d’investigations. De moins en moins effusif, de plus en plus conscient de ses pouvoirs et de ses dangers, le lyrisme apparaît en fin de compte comme le nom même des énergies qui sont à l’oeuvre dans la poésie et qui la pous­sent sans cesse à remettre en cause ses propres délimitations.  

La ronde des Muses

II. LES FORMES LYRIQUES

Le lyrisme couvre tous les registres de l’expression subjective, depuis les joies ou les peines les plus familières jusqu’à la célébration des héros ou des dieux. Il peut être intime ou d’apparat, de tonalité élégiaque ou joyeuse. L’ode est sa forme la plus ancienne et la plus noble. Proche de l’hymne, elle associe à l’idée de chant celle de célébration. Cultivée par Pindare dans l’Antiquité grecque, elle se retrouve aussi bien chez Ronsard (Odes, 1550-1556) que chez Victor Hugo (Odes et ballades, 1822-1828) ou Paul Claudel (Cinq grandes odes, 1908). A travers elle, c’est la dimension propre­ment religieuse du lyrisme qui se trouve valorisée. A cette forme exaltée, on oppose volontiers l’élégie qui en paraît le revers dépressif. Celle-ci est moins portée à célébrer qu’à méditer et déplorer. Le passage du temps, la finitude humaine, les tourments de la passion et de la mélancolie, nourrissent les Regrets  (1558) de Du Bellay, comme les Elégies  (posthume, 1844) de Chénier et les Méditations poétiques  de Lamartine. A côté de ces grandes formes, une multitude de genres mineurs a proliféré, souvent d’origine populaire, tels que la chanson et la ballade. Les données sentimentales et musicales y sont prépondérantes. Il en va ainsi des Chansons des rues et des bois  (1859-1865) de Victor Hugo. La poésie lyrique est si diverse que l’on ne saurait en définitive lui attacher de versifi­cation particu­lière. Elle se caractérise plutôt par une extrême variété formelle qui contribue large­ment à faire évoluer les ressources de la métrique. Ainsi , dans les Fêtes galantes (1869) et les Romances sans paroles (1874) de Paul Verlaine, le mètre impair se voit-il préféré pour exprimer les incertitudes et les défaillances de la subjectivité. Mais c’est sans doute l’octosyllabe qui apparut longtemps comme le vers le plus propice à l’expression  mélodieuse de l’inspiration lyrique. Au début de ce siècle, la “Chanson du mal aimé” de Guillaume Apollinaire en fait encore usage. On observera par ailleurs que la poésie lyrique use volontiers de l’exclamation et de la répétition. Celles-ci sont les signes les plus manifestes de l’animation du discours. On y peut discerner les mouvements que fait le sujet dans le langage pour se rapprocher de l’idéalité qu’il convoite. Ainsi Saint-John Perse multiplie-t-il dans Eloges (1911) les points d’exclamation comme autant de marques de la célébration. Et si Valéry ne craint pas de dé­finir le lyrisme comme “le développement d’une exclama­tion”, c’est que le travail du poète consiste précisément à donner corps, en l’amplifiant, à l’impulsion initiale d’un voeu, d’un souci ou d’un désir. Ainsi naturelle­ment porté vers l’amplitude, le lyrisme ne se cantonne pas dans le vers. Au XVIIIème siècle, il est à l’oeuvre dans la prose des Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778) de Rousseau ou des Mémoires d’outre-tombe (1809-1841) de Chateaubriand. Au XIXème, il donne lieu à la forme nouvelle du poème en prose que Baudelaire caractérise comme désireux de réaliser le rêve d’une “prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’a­dapter aux mouvements lyriques de l’âme (...)”. Tel serait en définitive le lyrisme : la convoitise d’un langage autre au sein de la langue même.

 

III. L’EXPRESSION SUBJECTIVE

Après avoir perdu Eurydice, Orphée erre à travers les campagnes en chantant sa douleur et sa solitude: “Je suis le téné­breux, le veuf, l’inconsolé” s’exclamera Nerval en se réappro­priant cette image dans Les Chimères. (1853). Telle est sans doute la figure la plus fameuse du poète lyrique : celle d’une créature solitaire dont l’identité même se trouve suspendue à son chant. Soucieux d’appréhender l’essence des différents genres littéraires, le philosophe Hegel oppose dans son Esthétique  la dimension subjective de la poésie lyrique à l’objectivité de la poésie épique: “Elle a pour contenu le subjectif, le monde intérieur, l’âme agitée par des sentiments et qui, au lieu d’agir, persiste dans son intériorité et ne peut par conséquent avoir pour forme et pour but que l’épanchement du sujet, son expression.” Les réalités dont s’empare le poète lyrique sont donc choisies et interprétées par sa subjectivité. Si le lyrisme est musical par essence, c’est que son objet même est extrêmement variable. Il est lié à la diversité des états psychologiques du sujet. Toutes les tonalités de la vie affective trouvent à s’y exprimer. Par là même, le lyrisme constitue un genre instable, dans la composition duquel entrent des contenus très différents. Il rassemble, avec plus ou moins de cohérence, tout ce qui constitue la poésie quand elle n’est pas réductible à un genre historiquement et formellement caractérisé. Sa thématique est directement liée au contenu de l’expérience subjective. Le temps, la mort, l’amour, sont ses motifs de prédilection en ce qu’ils mettent en cause l’intégrité de l’individu et son rapport au monde environnant. Il faut noter toutefois que l'expression lyrique n'est pas si naïve qu'elle paraît. Le contenu sentimental du poème peut être feint autant que réellement éprouvé. Le “je” lyrique ne coïncide pas forcément avec la personne qui s'exprime à travers lui. Il est avant tout un sujet d'énonciation qui peut prendre quantité d’aspects. Il devient par exemple un “tu” au début de “Zone” d’Apollinaire : “A la fin tu es las de ce monde ancien” (Alcools, 1913).  Il décline des identités crépusculaires et aléatoires dans le deuxième “Spleen” de Baudelaire : “Je suis un cimetière...”, “Je suis un vieux boudoir...” Davantage que le “je” lui-même, ce sont en fin de compte les métamorphoses ou les altérations dont il est l’objet qui constituent le principal intérêt du texte lyrique. Le poète confie à une parole musicale, imagée et rythmée, le soin d’idéaliser, de styliser ou de noircir ses propres traits. Ainsi se délivre-t-il de sa finitude dans un discours qui la transfigure. Désireux d’azur et d’élévation, le lyrisme enlève ou ravit le sujet dans le lan­gage: "Emporte-moi, wagon! en­lève-moi, fré­gate!" s'exclame Baudelaire dans "Moesta et errabunda" (Les Fleurs du mal, 1857).


(5) OUVRAGES DE REFERENCE - F.Brunetière, L’évolution des genres dans l’his­toire de la littérature, Hachette, 1910. ◊ B.Delvaille, Mille et cent ans de poésie française, Laffont, 1991. ◊ G.Duhamel, Anthologie de la poésie lyrique en France, Flammarion, 1946. ◊ G.W.F.Hegel, Esthétique, T.8, “La poésie”, Aubier, 1965.

ETUDES - D.Combe, Poésie et récit, une rhétorique des genres, Corti, 1989. ◊ L.Jenny, La pa­role singulière, Belin, 1990. ◊ B.Johnson, Défigurations du langage poétique, Flammarion, 1979 ◊ J.-M.Maulpoix, Du lyrisme, Corti, 1999.