du
lyrisme
essai
critique paru en mars 2000 aux éditions
José Corti, dans
la collection "en lisant en écrivant
(448 pages, 120F)
Préface de
l'ouvrage
A
l'origine de ce volume est un essai, La
voix d'Orphée, publié sous cette
même couverture en 1989, et auquel
j'ai récemment souhaité apporter
quelques modifications en vue de sa
réédition.
Jugeant
utile de le nourrir d'un plus grand
nombre d'informations concrètes,
susceptibles de servir l'entente de la
notion de lyrisme, à un moment où
celle-ci est l'objet d'un certain
regain d'intérêt, j'ai ajouté au texte
initial plusieurs nouveaux chapitres :
sur l'histoire du néologisme, l'ode,
l'élégie, l'inspiration, la voix...
Ces ajouts furent bientôt tels que le
texte initial doubla de volume : un
nouveau livre voit ainsi le jour...
Lorsque
parut La voix d'Orphée, rares
étaient alors ceux qui accordaient
quelque attention à la notion de
lyrisme. La situation a changé. J'en
veux pour preuve le retour insistant
de ce mot, depuis quelques années,
sous diverses formes, dans des essais
critiques importants : Habiter en
poète de Jean-Claude Pinson (Champ
vallon, 1995), Figures du sujet
lyrique, sous la direction de
Dominique Rabaté (P.U.F, 1996), L'amour
du nom de Martine Broda (Corti,
1997)...
Moins
formalistes que leurs aînés immédiats,
une nouvelle génération de poètes, nés
pour la plupart dans les années
cinquante, sont par ailleurs venus
donner quelque crédit, au cours de ces
deux dernières décennies, à ce que
l'on a parfois appelé « un
nouveau lyrisme ».
Quel
est le sens de ce « retour » ?
Certains ne veulent y voir qu'une
régression. Un oubli des avancées
critiques de la modernité. Un abandon
complaisant à l'effusion subjective,
en un temps dit « postmoderne » de
complète désorientation théorique...
C'est négliger l'essentiel : le
renouveau d'une poésie de la voix,
moins fascinée par le processus de
l'écriture même que désireuse d'une
adresse à autrui, aussi bien que d'une
nouvelle articulation à toute forme
d'altérité. Si lyrisme nouveau il y a,
c'est dans l'intervalle entre le
propre et le semblable qu'il vient
s'établir, étroitement noué à la
reformulation contemporaine de la
question de l'identité.
Ce «
retour » du lyrisme ne suffit
cependant pas à rendre crédible sur le
plan critique une notion qui demeure
foncièrement confuse, depuis toujours
partagée entre des valeurs
contradictoires. Peut-être même est-ce
une tâche vaine que de s'appliquer à
mieux la cerner. Il semble qu'elle
touche de trop près à l'existence
affective du sujet et à ses abus de
langage. Le lyrisme joue avec le feu,
pourrait-on dire, et outrepasse
parfois des limites que l'on sait
dangereuses. Mais par là il lance un
défi : c'est la part la plus obscure
du processus de la création poétique,
et peut-être de notre rapport intime à
la langue, qu'il invite à examiner.
S'intéressent au lyrisme, à leur corps
défendant, ceux qui en connaissent les
menaces autant que l'énergie et la
beauté.
Ecrire
sur le lyrisme, sans doute est-ce donc
osciller sans cesse entre l'adhésion
et le refus. Gagné tantôt par la
ferveur, tantôt par le soupçon. Tantôt
convaincu, tantôt irrité. Et c'est
risquer à tout moment de s'y laisser
aller soi-même... Pour résister autant
que possible à de telles sautes
d'humeur, je me suis surtout attaché à
lester cet ouvrage de citations
nouvelles et de descriptions
historiques, souhaitant simplement
contribuer ainsi à enrichir la
compréhension d'une notion dont il
appartient en définitive à chacun de
se faire sa propre idée.
****
Un
mot toutefois, puisqu'un débat
aujourd'hui se poursuit à propos de la
poésie, du lyrisme, et de leur rapport
au réel. Un mot pour faire le point:
La
poésie s'occupe d'autre chose,
que le réel étrangle, et auquel elle
veut rendre voix. Cet « autre chose »
palpite en elle, dût-elle finir par en
reconnaître l'impossibilité . Loin de
fuir vers l'Azur, d'entretenir la
nostalgie des dieux, ou de se
complaire parmi les songes et les
mensonges, elle cherche, elle examine,
elle proteste, elle réclame, elle cite
toutes choses à comparaître dans la
langue qu'elle travaille. L'instinct
lyrique mobilise cet effort qui en
elle vise à articuler le dedans et le
dehors, le réel et le subjectif, ou le
possible et l'impossible. De cela,
elle prend la mesure, et se garde bien
de conclure.
Le
poète marche sur un fil, quelques
mètres au-dessus du sol (assez pour
se rompre le cou d'un faux-pas),
dans l'entre-deux qui en fin de
compte est le nôtre, entre ciel et
terre, puisque nous ne sommes ni des
oiseaux ni des plantes... Lyrique,
il prend le risque de la chute, ou
simplement du ridicule. Il aspire
toujours à l'envol, même si cette
marche funambule sur la corde mince
de ses phrases est désormais
l'ultime espèce d'allègement dont il
soit capable.
J'appelle
aujourd'hui lyrisme cette en allée
qui ne s'en va à proprement parler
nulle part, mais durant laquelle le
marcheur connaît avec exactitude son
poids et son vertige.
Montainville,
le 20 octobre 1999.
à lire à propos du
lyrisme :