Lyrisme
: je
suis loin d'en avoir fini avec ce
mot...
Il dit le meilleur et le
pire, la vigueur du poème aussi bien
que sa déroute, l'envol ou la chute,
l'enthousiasme ou l'emphase, le
souffle ou le pathos.
Il répète que la poésie
est affaire de trous d'air. Et qu'il
appartient à chacun de trouver une
issue pour tout ce qui réclame en lui.
Son souffle dans l'irrespirable.
Lyrisme...
ligne de fuite, la mer prenant son
large, joie de mourir ainsi à soi, de
se répandre... Là-bas, les merveilleux
nuages emportent une provision
de ciels. Nous voudrions mêler nos
corps à cet inachevable, nos doigts,
nos chevelures, et quantité d'autres
fragilités désirables...
« Instinct de
ciel » : éperdument, le lyrisme,
en nous, s'oriente vers autre chose.
Il appelle, il aspire. « Fuir, là-bas
fuir », semble-t-il répéter en vain.
Mais il ne tourne pas pour autant le
dos à ce monde-ci : il rend plus
proche et plus sensible ce qui est, en
le confrontant à ce qui n'est pas. Tel
est le curieux savoir du poème : en y
fréquentant l'impossible, on y prend
la mesure du possible.
Non l'effusion, mais la
tension. Non pas l'expression
personnelle, mais
l'adresse à autrui. La
découverte en soi du commun des
mortels.
Le lyrisme est tendu vers
l'autre, aussi bien que tendu par
l'autre. Que pouvons nous partager de
plus intense avec nos semblables que
la commune ignorance du pourquoi de
notre existence ?
Aujourd'hui, c'est marée
basse! Ni chants de sirènes, ni
tempêtes sublimes : nous ne
recueillons sur la plage lessivée que
les embruns salés des vagues et ce
butin maigre de bois flottés, de
coquilles et de morceaux de verre que
le profond silence des mers avec
parcimonie nous octroie.
Le lyrisme est un terrain
vague : espace indéfini, sans borne,
où échouent toutes sortes d'objets
étranges: écorchures du monde ou du
coeur, sans valeur établie ni
signification.
En cet endroit, l'on
vaque. Le lyrisme, dans l'homme, est
quelque chose comme le principe d'une
errance.
Quand elle n'est plus un
envol, la poésie reste une en-allée.
Le lyrisme la pousse et la tire plus
avant. Elle tend vers ses propres
confins, elle survit dans ses propres
marges.
Le lyrisme
d'aujourd'hui est critique. Plus
cruciales, plus directes, plus à nu
que jamais sont à présent la forme et
la question du poème.
Moins célébrante, moins
chantante, moins orante, moins
crédule, moins harmonieuse, moins
consolatrice, moins émerveillante et
poétique que jamais, la poésie fait
face à son temps. Plus questionneuse,
plus décousue, plus rapide, hétérogène
et prosaïque, elle a appris à « en
rabattre » dans ses prétentions ou ses
espérances. Plus ahurie et plus
savante à la fois, elle s'est faite
critique, et d'abord d'elle-même, et
de cette parole que nous sommes. Elle
s'en prend aux idées toutes faites et
s'efforce de voir la langue afin de la
réarticuler.
Lyrisme! Je n'en ai pas
fini avec ce mot : comme le coeur, il
cogne au-dedans.
***
Le
lyrisme d’aujourd’hui est critique
en ce qu’il exprime un
état critique du sujet, interroge la
capacité proprement articulatoire du
langage, lie étroitement le désir à
sa défaite, la postulation à
l’insatisfaction, et inscrit
l’interrogation au voisinage de
l’exclamation. Il
constitue ensemble un espace de
quête, d’interpellation et de
questionnement.
Faute de pouvoir continuer à se
définir comme puissance de
célébration, il tend
à devenir puissance d’examen. Il
s’en prend à la réalité tout
entière.Il
en poursuit l’étude, en recherche
les
défauts, en observe les jointures.
Il se retourne sur et contre
lui-même. Il
subsiste en conflit, en procès.
Espace d’un sens instable, il est
partie
prenante d’un travail de
réévaluation et de reconfiguration
de la poésie. Il y
a dans son retour (ses retours) la
quête d’un sens social, voire
politique de
l’activité d’écriture. C’est un
lyrisme malgré tout, qui
explore un état
critique pour l’intensifier,
l’aggraver et non pour aboutir à la
résolution euphonique
des apories.