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Autres essais critiques


Citations de P. Jaccottet

"Parole-passage, ouverture laissée au souffle. Aussi aimons-nous les vallées, les fleuves, les chemins, l'air. Ils nous donnent une indication sur le souffle. Rien n'est achevé.. Il faut faire sentir cette exhalation, et que le monde n'est que la forme passagère du souffle."


"La nuit n'est pas ce que l'on croit, revers du feu,

chute du jour et négation de la lumière,

mais subterfuge fait pour nous ouvrir les yeux

sur ce qui reste irrévélé tant qu'on l'éclaire."


 

LES JOURNÉES DE PHILIPPE JACCOTTET


article de Jean-Michel Maulpoix publié dans le n° 10-11 de la revue Faire part, automne 1987
Philippe Jaccottet, Autres journées, éditions Fata Morgana, 1987.

 

De quoi est faite cette vie ? Quels en sont la substance et le prix ? C'est ici la question ultime de la poésie, celle par laquelle elle demeure après tout et se maintient. Philippe Jaccottet, lors même qu'il n'écrit plus guère de poèmes, ne cesse de la poser, moins en la formulant directement comme telle (ce serait le travail du philosophe)qu'en multipliant autour d'elle ces espèces de réponses obliques et fatalement partielles que sont les pages de prose d'un journal paisible. Cette vie, semble-t-il nous dire, est faite de quantité de minuscules événements qui sont la substance même du temps et dans lesquels se donnent à éprouver simultanément la grandeur de notre condition et sa finitude, sa précarité, son énigme toujours... Il convient d'appeler « Journées » cela, qui hésite sans cesse entre la douleur et la joie, insaisissable, immatériel, et cependant épars et sensible dans la lumière, tel le contenu le plus précieux et le plus simple des heures de notre vie.

 ***

Le poète est ici promeneur, passant, observateur, lecteur et témoin. Les notes qu'il a prises au fil de ses Journées s'enchaînent de façon si capricieuse qu'elles semblent constituer le degré zéro de la poésie. Point ou peu de mise en forme: juste ce qu'il faut de précision et de clarté pour assurer une sorte d'emprise éblouie et furtive sur le phénomène rapporté, ou plutôt pour permettre la propagation de ses ondes les plus fines. Pas de développement, de construction, de projet; comme si l'auteur était absent, ou demeurait dans l'ombre, ne décidant de rien, pas même de ses itinéraires, et surtout pas de ses rencontres, réduit à l'état de témoin innocent, saisi, émerveillé... En un autre temps, le poète se fût servi de ces fragments comme d'une matière à façonner et à transformer en poème. Il semble qu'il lui suffise aujourd'hui de conserver telle quelle la trace écrite de ce qui fut soudain une joie, une inquiétude, ou une question, comme si ce que l'on croyait être le point de départ de la poésie s'avérait en définitive son point d'arrivée, son but, et donc sa véritable origine.

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Une telle entreprise ne va pas sans ascétisme; elle implique un renoncement volontaire aux illusoires prestiges de la langue et du concept, voire un travail sur soi: le discret labeur du journalier. Ce que révèlent également de telles notes (le mot de "fragment" ne convient guère, car il renvoie, qu'on le veuille ou non, à une totalité dont le fantôme est ici justement écarté) est une certaine forme de vigilance, ayant pour enjeu l'accession à la présence. Celle-ci se manifeste par une espèce particulière de joie, « lointaine et presque incompréhensible pour nous » qui conduit le langage à se résorber presque entiè rement dans le silence. D'où la difficulté de cette écriture, marchant sur un fil entre la parole et son contraire, entre la possession et la dépossession...

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Il en va de même pour la perception des œuvres chères, poétiques, picturales ou musicales, dont Jaccottet rappelle, par quelques citations ou commentaires, quelle compagnie et quels appuis familiers elles constituent. Complice et amoureux, le discours s'intéresse aux liens transparents que d'autres ont déjà tressés entre le monde et son énigme, il répercute et amplifie d'anciens échos: toujours il s'émerveille.

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Le travail de la « journée » est en fin de compte travail de la merveille; c'est dire qu'il se préoccupe des possibles affleurements de l'obscur dans la lumière, des tressaillements de l'énigme, et, surtout, de la conjointe poignance du monde, du sujet et de la langue. Par là, il définit en propre le travail de poésie.  


© Jean-Michel Maulpoix, 1987.