IANNI D'ELIA
Choix de poèmes, présentation et traduction par Bernard Simeone
Présentation
Né en 1953 à Pesaro, dans les Marches, sur la côte adriatique, Gianni D'Elia y a fondé en 1982 la revue de poésie Lengua, qui se proposait, à l'exemple de Pasolini, de défendre en poésie le plurilinguisme et l'expression dialectale.
Il a traduit des poèmes de Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry et Char dans le volume Taccuino francese (Carnet français), paru en 1990, ainsi que Les Nourritures terrestres d'André Gide en 1994.
Parmi ses recueils poétiques, on citera, parus aux éditions Einaudi, Secret (1989), Nuit privée (1993), Congé de la vieille Olivetti (1997) et Sur la rive de l'époque (2000).
Les poèmes ici proposés sont extraits de Congé de la vieille Olivetti et ont paru une première fois, complétés d'autres, dans une plaquette à tirage limité, par les soins de Christine Brisset à l'Impatiente (Laon).
Les poèmes :
Autres traductions
INCONCLUSION
Ou comme le tronc d'un bonheur qui fut
Autrefois lames-feuilles vertes et tendres émises
Par ces deux bras coupés, désormais depuis quand
Brindilles rangées thyrses là dans un coin
Du radiateur toujours éteint,
Et les rêvant un instant dans du terreau,
Dans de l'eau où ils puissent rester,
Mais ensuite laissant aller paresseusement
L'esprit, flamme muette abandonnée,
Si tu le redécouvres, hésitant étonné,
Qui sait par qui pour qui pourquoi sauvé
Pour quelle résurrection d'arbre
Ce bonheur qui seul repousse comme
Toute chose verte qui a été
PASOLINI EN 75
Poète, la vérité la plus vive, raison
transcrite en sainteté, mer houleuse,
tout entière dans ce petit dossier
posé tout près de la petite machine
alors que devant toi le photographe à quai
attend de nouveau que jaillisse
le vrai sur ton visage contracté
par la quête du mot juste - tu écris
Lettres luthériennes sur une Lettera 22,
répliquant aux destinées italiennes
par des poèmes en prose à double interligne,
arme incroyable, inappropriée, rose
épineuse tranchée par rage et par lâcheté,
regard pensum ardeur dévouement
devenu grâce à Dino Pedriali brûlure
cur de maître frère aîné
doux au sens violent qu'a l'amour,
ami pouvoir t'appeler par ton nom!
À FELLINI
au milieu
d'un troupeau de loups bien adultes
PIER PAOLO PASOLINI, La Religion
de mon temps
Mais la mort ayant poussé lentement
L'uvre grandit plus inexorable encore
Et bien différent de celui qui meurt avec la mort
Surgit à présent d'un coup dans les ordinateurs,
Par le monde entier recueilli, son tribut
Dispersé au rêve imprimé qui jamais ne se tait
Si, dans la langue répétée par le celluloïd
Ou sur bande magnétique, rempart contre le temps,
Tel celui qui dans la mort perd la mort
Et qui perdu pour la vie acquiert la vie,
Dans la très vieille nuit il file encore
Parlant en vers à qui le surprit assis
Là près du volant de la grande auto
Enfant curieux de toutes les formes
Lui aussi venu de sa province,
Pier Paolo, et Federico magique, monstrueux
Pour la gloire de soi-même déchirant et vrai,
Poètes l'un et l'autre d'un temps qui n'est plus
LE PARTISAN AVRIL
" Camarade, je porte le même nom
que ce beau mois - pâle jeune homme, il surgit
ainsi dans le rêve - qui des montagnes descendit
libérer les villes, quand la colère
fut justice impitoyable. Et aujourd'hui,
du fond du temps à venir,
en ce temps de vérités massacrées
de l'un à l'autre écran, dans la morgue et le mensonge
d'une cuite obtuse ennemie de l'histoire,
tu dois répéter cela, en cet instant, à qui n'a
ou ne semble avoir d'autre mémoire,
confondant sentence et pitié,
ignorant encore plus le choix d'alors : notre
histoire, la Résistance, fut la seule
dignité. "
" Congé, oui - mais pas seulement, je crois, de moi
à toi, de toi à moi, bien que, nôtre
ou de qui sait combien d'autres, un peu
congé à ces temps de gâchis et de noirs
rejetons de demi-vies brutes
scandées par des puces et des relais
en phase avec le marécage qui pullule et, bien
comme il faut, deux fois sur trois, bousille toute conscience;
mais ils vont de pair avec la pensée ces doigts
qui tapent, et le pied avec le souffle -
rien qu'une brève halte, la lente
fatigue, effarée peu à peu,
de ce qui est désormais notre montée commune,
est-ce là ce que l'uvre à venir réclame ?
"
© Iani df'Elia et Bernard Simeone |