VALERIO
MAGRELLI
Choix
de poèmes, présentation et traduction par
Bernard Simeone
Présentation
Né
à Rome en 1957, Valerio Magrelli est professeur de
littérature française à
l'Université de Cassino, après avoir
enseigné à celle de Pise. Il a traduit
Valéry, Debussy et Verlaine, publiant plusieurs
volumes consacrés à la littérature
française, en particulier la monographie Demeure
de la pensée. Introduction à l'uvre
de Joseph Joubert (1995). Il dirige, aux éditions
Einaudi, une série trilingue au sein de la
collection " Scrittori tradotti da scrittori " -
Écrivains traduits par des écrivains. Il a
publié quatre recueils poétiques : Ora
serrata retinæ (1980), Natures et signatures
- titre original Nature e venature (1987),
Exercices de typtologie (1992) et Notes pour la
lecture d'un journal (1999)
Choix
de poèmes
Comme un terrain
piétiné, résonne
profond, creux et
abandonné
comme une terre
qui remue,
ce clair corps de
femme,
comme un animal
battu, ce dos
lustré par
des mains muettes,
comme une pierre
polie
par le cours
d'autres pierres,
sans parfum et
sans voix,
bouche faible et
consumée
comme une plante
élimée,
sans ombre,
touchée de partout,
heurtée de
partout, champ désolé
sans herbe et sans
traces, sans bords
comme la
douloureuse image de l'aveugle,
nue et suspendue,
blottie
dans son cercle de
solitude,
c'est le dernier
fruit de l'amour
qui ne garde pour
lui
que la
déserte pauvreté de l'os.
(extrait de Ora
serrata retinæ)
Tout visage
photographié
est une image de
guerre,
le point de
tangence
entre l'avion
ennemi et le navire
au moment qui
précède l'explosion.
Figé sur
l'instantané,
dans le contact
flagrant de deux regards
immolé,
pris
tandis que les
flammes couvent déjà
dans le fuselage
en grandissant
à
l'intérieur de ses traits, il ne vit
que le temps
nécessaire
pour accomplir la
mission du souvenir.
(extrait de
Natures et signatures)
Si pour t'appeler
je dois faire un numéro
tu te transformes
en numéro,
tu modèles
tes traits
sur l'agencement
auquel tu réponds.
Le trois qui se
répète,
le neuf en
troisième,
indiquent quelque
chose de ton visage.
Lorsque je te
cherche
il me faut
dessiner ton image,
faire naître
les sept chiffres
analogues à
ton nom
jusqu'à ce
que s'entrouvre le coffre-
fort de ta vive
voix.
Tout à
coup, tandis que je téléphone,
l'interférence
perturbe le dialogue,
le multiplie,
ouvre une perspective
dans le sombre
espace
de
l'ouïe.
Je me vois
vertical, somnambulique,
en
équilibre sur une fugue de voix
jumelles,
enlacées,
surprises en plein
contact.
Je sens la langue
de la bête chtoniennes,
l'horrible tresse
de mots, de phrases, le monstre
polycéphale
et difforme qui m'appelle
des
profondeurs.
(extrait de
Natures et signatures)