La
voix d'un
poète est
plus que
toute autre
tributaire
d'une expérience
qui, au
fil des
ans et
des pages,
la pose
et l'impose
avec une
gravité
de plus
en plus
poignante.
Le cours
du langage
se resserre
et rive
le poème
à l'essentiel,
quand l'embouchure
de l'existence
se rapproche
irrémédiablement
de sa
source. Ainsi,
Ce
qui fut
sans lumière
(1) donne-t-il
à entendre
une parole
plénière
dont l'autorité
tient aussi
bien à
l'extrême décantation
de vocables
simples,
nommant des
éléments
familiers
depuis longtemps
scrutés
avec un
soin patient,
qu'à
la singulière
solution
mélodieuse
où le vers
baigne les
réalités
et les
perceptions
disparates
dont se
nourrit toute
existence.
Interrogation
et méditation
se fondent
dans la
musique des
mots et
l'amalgame
des substances.
Le chant
exauce le
voeu ultime
de l'esprit
: connaître
ce qui
se dé
robe, en
le sublimant.
La nuit,
le feu,
la pierre,
l' ardeur
et la
griffure
des ronces
opiniâtres,
le gonflement
de la
sève dans
les branchages,
leurs noeuds
inextricables,
ou la
légèreté
lumineuse
des rameaux
d'amandiers
"au
mois des
fleurs",
les jeux
de l'eau
dans la
lumière,
la neige
et son
apparence
"de
réalité
parfaitement
pure",
le frémissement
des étoiles,
le cri
inquiétant
d'un rapace,
la barque
qui dérive
et s'éloigne
"sur
le courant
de l'espoir
gros de
la mort",
sont les
éléments
privilégiés
de cette
parole, et
comme "les
contreforts
du vrai
lieu" dont
L'Arrière-pays
(2) nous
rappelait
qu'il est
ici, "dans
cette promesse"
que renouvellent
les changeants
paysages
du sensible
où "l'absolu
se déclare",
signe et
substance
tout à
la fois.
Les
simples
noms de
ces réalité
s du
monde sont
les plus
propices
à
l'éclosion
de la
poésie qui
"veut
des mots
qu'on puisse
prendre dans
son destin".
Ils forment
ce qu'Yves
Bonnefoy
nomme dans
L'Improbable
(3) "un
intelligible
subjectif".
Ils sont
aimés et
répétés
à loisir,
pour leur
aptitude
à ouvrir
"l'amande
de l'absence
dans la
parole",
pour leur
façon naïve
et savante
de désirer
la terre,
sans pourtant
en cueillir
jamais le
fruit improbable:
"Terre, ce
qu'on appelle
la poésie
/ T'aura tant
désirée
en ce
siècle,
sans prendre
/ Jamais
sur toi
le bien
du geste
d'amour."
Soucieux
de saluer
la beauté
du sensible,
et d'arracher
avec son
aide tous
les masques
absurdes
qui couvrent
son visage
d'homme,
le poète
va tracer
dans le
paysage
du monde
quantité
de chemins
qui seront
autant de
passages
secrets pour
entrer à
la dérobée
en soi-même
et pour
y rencontrer
sa propre
vérité .
Il ne
peut que
pressentir
l'absolu
et s'en
émouvoir,
aller
avec ses
propres mots
imparfaits
au devant
de la
parole des
choses, prêt
à entonner
avec elles
un chant
d'amour...
Mais ce
chant, nous
ne l'entendrons
pas: le
poète restera
sur la
rive, "dans
le leurre
du seuil",
voué
à
la ferveur
et l'angoisse
des lisières.
Yves Bonnefoy
se
défie de
l'illusoire
souveraineté
du langage,
naguère
célébrée
par les
surréalistes.
Le "stupéfiant
image"
n'est qu'une
tromperie
aux yeux
de celui
qui conçoit
le poème
comme le
plus court
chemin vers
la vérité
et qui
lui confie
la
tâche de
rendre la
parole à
l'immédiat,
voire de
retrouver
un originel
et pur
regard en
dissipant
les leurres
de l'imaginaire.
L'auteur de
Récits
en rêve
(4) concède
cependant
à
la prose
le droit
de s'abandonner
davantage
aux méandres
de l'imagination.
Sous ce
titre anthologique,
les textes
que le
poète a
réunis
(L'Arrière-pays,
Rue
traversière,
Remarques
sur la
couleur,
L'Origine
de la
parole...)
révèlent
leur unité
. Une
allure particulière
de l'esprit
et du
langage,
"évitant
de substituer
le défini
au multiple",
y scelle
l'alliance
du récit
et de
la rêverie,
celle-ci
devenant
le mode
privilégié
de celui-là
, sa
manière
de progresser,
de retentir,
puis de
disparaître. Qu'il
s'agisse
de
l'approche
d'un port
étrange
sur les
rives de
la Méditerranée,
d'un roman
réduit à
des "bifurcations"
et des
"décompositions
prismatiques",
d'un ensemble
de propos
sur la
peinture,
en présence
d'un interlocuteur
énigmatique,
d'une suite
de brèves
fictions
mettant le
narrateur
aux prises
avec une
langue dont
le sens
lui échappe,
ou de
la compréhension
soudaine,
dans l'intense
réverbération
de la
lumière
sur les
murs d'un
village,
"que
l'été est
le langage",
ces récits
tracent la
carte de
"l'arrière-pays":
celui que
chacun porte
en soi,
et dont
les horizons
dérobés
font vaciller
toute perception
de l'ici.
Ces Récits
en rêve
sont aussi
bien des
récits rêveurs,
ou des
rêves de
récits,
occupés
à observer
les imprévisibles
glissements
qui se
produisent,
au hasard
d'une sensation,
du paysage
réel des
choses à
ses arrière-plans,
et du
sensible
à
l'imaginaire.
Ils ont
pour objet
commun la
manière
dont l'âme
est affectée
par la
disposition
des réalités
que perçoit
le sujet,
et la
façon
dont celles-ci
se coulent
et se
subliment
en elle.
Paysages
et tableaux
se superposent
alors, dans
un enchevêtrement
complexe
de nature
et de
culture,
de sites
et de
références,
qui proposent
une expérience
aléatoire
du temps
et de
l'espace.
De même
qu'un tableau
diffuse la
mystérieuse
résonance
subjective
d'un paysage,
de même
la rêverie
est l'écho
assourdi
d'un souvenir
converti
en appréhension
, et
dont l'usure
même travaille
à approfondir
les traits
incertains.
Ainsi attachés
à représenter
les émois
et les
méprises
qui affectent
notre connaissance
du sensible,
ces récits
rêveurs
prennent
une tonalité
fantastique,
qui ne
tient pas
à l'intervention
de forces
surnaturelles,
mais à
une indécision,
une hésitation
ou une
inquiétude
dans l'interprétation
de situations
et de
faits phosphorant
étrangement
dans la
conscience
du narrateur.
Cette écriture
procure une
curieuse
sensation
de vertige,
née de
la conjonction
de la
présence
et de
l'insaisissable,
ainsi que
de la
volonté
de ne
pas contrôler
l'incompréhensible
: "Chaque
phrase est
un labyrinthe,
ce sont
partout des
grottes où
de l'eau
luit sous
les pierres."
La poésie
est à
l'oeuvre
dans la
prose d'Yves
Bonnefoy
autant que
dans ses
poèmes.
L'un et
l'autre de
ces modes
d'écriture
inventorient
les signes
du temps
où
la parole
était encore
une promesse.
Ils s'attachent
à alléger "les
lourdes étoffes
peintes"
du rêve,
au profit
des choses
simples et
du réel
élémentaire
que l'homme
traverse
en songe.
Ils s'appliquent
de concert
à regarder
le monde
comme le
voit
la peinture.
Ils
sont
désireux
d'apprivoiser la
lumière
et de
passer le
langage "au
tamis de
l'eau qui
bouge dans
l'eau, du
soleil qui
se lève
dans les
arbres".
Et s'ils
s'inquiètent
ensemble
de l'au-delà
, c'est
que le
désir du
lieu et
de la
présence
naît "de
l'expérience
de ce
qui n'a
pas de
nom".
Un souci
unique travaille
et conduit
le poète:
aider chacun
à s'établir et
s'émerveiller,
au plus
près de
lui-même
et de
ce qui
est :"Le
paradis est
épars, je
le sais,
/ C'est la
tâche terrestre
d'en reconnaître
/Les fleurs
disséminées
dans l'herbe
pauvre".
(1)
Mercure de
France, 1987.
(2)
Skira, 1972.
(3)
Mercure de
France, 1971.
(4)
Mercure de
France, 1987