Voici le monologue qui persiste à dialogiser l’expérience de l’ontos, à s’ouvrir librement à la fourmillante altérité du monde et du moi. Loin de toute pratique du ‘self-story’ tel que Michel Deguy le conçoit, l’œuvre, lyrique, de Jean-Michel Maulpoix pénètre dans l’espace-temps immédiat, offert, autre et reconnaissable, ruisselant de spécificité et de méditabilité, que, pourtant, ce pèlerin de cette ouverture que possibilise l’encre ne cesse d’explorer comme un antidote à cet ‘esprit critique’, trop souvent ironique, moqueur, antienthousiaste, ‘insolent et cruel’, qu’il voit parfois trôner ‘sous le ciel gris de Paris’. Rivalisent ici mélancolie et vigilance, perplexité et passion, désarroi et désir. ‘Je chante’, écrit Maulpoix dans la partie IX de Recherche du soleil levant:
Je chante comme un demeuré abêti et bâté de phrases!
Comme on promènerait pour rien des valises en cuir emplies de cailloux
Je prends l’air des chemins où je ne m’en vais pas
Je fais trafic de routes et de voies lactées
Ma plume se moque de courir à sa perte
Soliloquant dans son amour mettant le cap au large
Qui tient tout entier dans l’angle inférieur droit du papier. (ME, 23)
‘Naufragé de la langue’ et simultanément ‘ange ou nageur immergé dans le bleu’, le poète reste conscient d’une espèce d’’inutilité’ qui baigne son geste tout en comprenant que l’acte d’écrire peut devenir lieu et formule permettant de ‘garde[r] intact l’enfant qui pleure derrière la porte / [de lui montrer] l’armure d’or et le destrier blanc’(ME,15). Dans Écriture on lit le passage suivant qui vient confirmer ce besoin d’opérer une coïncidence fondamentale, authentiquement sentie de l’expérience et des mots:
Désir de porter l’écriture jusqu’au point où s’efface le souci du style, cédant la place, toute la place, à ce que pourrait être la sensation d’un toucher juste, lequel est différent de la recherche du mot juste, ou plutôt implique un doute quant à sa possibilité, cherchant plutôt un singulier contact avec la langue, et voulant approcher le papier comme une peau, imaginaire et irréelle sans doute, mais telle que la plume d’or y glisse, trouvant son rythme, traçant son léger chemin noir, allant, allant encore et malgré tout, ralentie, tantôt se précipitant, ne sachant guère où elle s’en va ni qui la dirige, mais désireuse de poursuivre et de poursuivre encore, là, cette espèce de fil qui se dévide et craint d’être coupé : fil de la vie, filet de voix, ce n’est pourtant ni l’un ni l’autre, juste un fil d’encre sombre qui fait sur le papier des nœuds où s’accroche désespérément celui que le temps emporte et qui sait devoir s’interrompre. (ME,39)
Rêve d’une écriture à la fois viscéralement et hiératiquement rythmée où l’expérience d’un ailleurs affectif pourra se vivre dans l’ici de la langue. Aucun angélisme, bien sûr, malgré cette ‘histoire de bleu’ qui hante, mais un lyrisme et c’est peut-être cela, le lyrisme qui traverse l’immédiat et quel immédiat ici : ‘banlieue pauvre’, ‘Golgotha’, ‘Brno’, ‘Face au bleu (St Malo / Javea)’, ‘Ponge’, ‘La chair et l’âme’, etc tout en gardant une soif d’autre chose, d’un autre mode ontologique, relationnel. Le lyrisme, une présence au monde, et, quoique faite d’un sentiment inaliénable d’absence, assumé comme une ‘responsibilité’ quasiment civique (voir son essai dans Sens et présence du sujet poétique, dir. M.Brophy et M. Gallagher, Rodopi, 2006).
‘Poème : quelques points de suture, encore un peu d’amour’.
Michaël Bishop