Souvent les hommes
restent debout près de la mer : ils regardent le bleu.
Ils n'espèrent rien du large, et pourtant demeurent
immobiles à le fouiller des yeux, ne sachant guère ce
qui les retient là. Peut-être considèrent-ils à ce
moment l'énigme de leur propre vie.
L'objet d'Une histoire
de bleu est précisément d'explorer ce regard, ce tête
à tête singulier de l'homme avec une apparence d'infini,
ce dialogue hésitant qui se poursuit aussi bien dans
l'amour et face à la mort que sous les voûtes des églises
ou sur les rivages de la mer...
Autant qu'une méditation,
on lira donc dans ces pages le poème de la finitude
moderne qui tâtonne à la recherche du sacré dans un
monde qui en a perdu l'idée mais en conserve le désir.
Semblables au cortège des neuf muses, ce sont ici neuf
courts chapitres, réunissant chacun neuf textes, qui
invitent à retrouver dans l'équilibre même de leur écriture
cette plénitude longuement recherchée.
Le bleu ne fait pas de bruit...
(extrait)
Le bleu ne fait pas de bruit.
C'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu'en elle il
s'enfonce et se noie sans se rendre compte de rien.
Le bleu est une couleur propice à la disparition.
Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même
de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps,
après qu'a giclé tout le sang et que se sont vidées les viscères, les poches de toutes sortes,
déménageant une fois pour toutes le mobilier de ses pensées.
Indéfiniment, le bleu s'évade.
Ce n'est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l'air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l'homme que dans les cieux.
L'air que nous respirons, l'apparence de vide sur laquelle remuent nos figures, l'espace que nous traversons n'est rien d'autre que ce bleu terrestre, invisible tant il est proche et fait corps avec nous, habillant nos gestes et nos voix. Présent jusque dans la chambre, tous volets tirés et toutes lampes éteintes, insensible vêtement de notre vie.