L'Instinct de ciel
(Mercure de France, mars 2000)
Première page du livre
Blanche ou liserée de noir, une enveloppe large comme un livre, fait tomber dans la boîte à lettres de belles italiques rondes, imprimées sur papier épais: la cérémonie sera célébrée dans la plus stricte intimité.
Autour de l'amour comme de la disparition, ils se rassemblent. A l'église ou ailleurs, ceux qu'on appelle « les proches » et que l'on voit si peu, reviennent, endimanchés, quand l'une à l'autre deux vies s'accrochent, ou quand l'une, toute seule, ayant fait son temps, s'éloigne et se désunit. Encore sont-ils moins nombreux, pas tout à fait les mêmes, ni versant la même espèce de larmes, lorsqu'il s'agit d'accompagner qui s'en va. Ici des parents, là des enfants peut-être, au mieux quelques amis fidèles, présents du bonjour à l'adieu. Les affections, les solitudes, les photographies de famille, sont de natures diverses.
Ici comme là, beaucoup de fleurs, trop de fleurs, en bouquets ou en gerbes... Des retrouvailles, des bonjours, des mines. Dans l'église, les mêmes bruits de chaises, presque les mêmes toux. Près de l'autel, où tous deux se tenaient côte à côte, silencieux, elle de blanc vêtue, lui costumé de neuf, intimidés et attentifs, un peu transis, c'est une boîte à présent, couchée, recouverte de velours rouge. Quelqu'un n'y entend pas ce que l'on dit de lui, n'écoute aucun cantique ni ne voit couler aucune larme. Quelqu'un qui n'a rien à répondre. Quelqu'un qui s'en retourne d'où il est venu. Quelqu'un à peine ou déjà plus, ne pouvant serrer la main de personne, quelqu'un qui sortira de là sur des épaules, s'en ira dans un camion gris, sans klaxon ni ruban, pour passer sous la pierre sa première nuit de poussière.
© Mercure de France, 2000.