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Note sur l'identité

En hommage à Paul Ricoeur...

disparu le 20 mai 2005 à l'âge de 92 Ans

 

De même que le mot “ hôte ”nomme aussi bien celui qui accueille que celui qui est accueilli, le mot “ identité ” présente en français la particularité de désigner deux réalités apparemment opposées : le propre et le semblable. Mon identité, telle qu’elle s’énonce sur mon passeport ou sur ma carte d’identité, est ce qui me distingue comme un citoyen singulier. Mais être identifié, ce peut être aussi être reconnu semblable ou identique, comme l’est un objet à un autre. Cette double face de la notion, Paul Ricoeur la résume, dans Soi-même comme un autre, en ayant recours à deux catégories: l’identité ipse  et l’identité idem :

Je rappelle les termes de la confrontation : d’un côté l’identité comme mêmeté (latin : idem; anglais : sameness; allemand : Gleichheit), de l’autre l’identité comme ipséité (latin: ipse; anglais : selfhood; allemand : Selbstheit).[1]

 

Les deux catégories contradictoires du propre et du semblable sont inséparables l’une de l’autre. De même que l’hôte, au sens de celui qui accueille, n’est tel que par la présence de l’hôte qui est accueilli, de même l’on mettra en évidence l’identité de deux objets ou de deux êtres en faisant apparaître le propre qu’ils ont en commun. Ou bien l’on distinguera l’identité d’un être parmi tous les autres en affirmant ce par quoi il se ressemble, est reconnaissable, demeure le même, à la fois singulier et différent. De sorte qu’établir l’identité d’un être, c’est découvrir ce par quoi il demeure semblable à lui-même à travers le temps, qui est facteur de dissemblance . C’est en quelque sorte déceler l’idem de son ipse. Cet invariant, ce peuvent être, par exemple, les empreintes digitales apposées précisément sur la carte d’identité, ou bien les empreintes génétiques, auxquelles se réfèrent à présent nombre de procédures judiciaires ou pénales.

Le philosophe Paul Ricoeur a recherché pour sa part, de façon plus aiguë, ce qu’il appelle un “ invariant relationnel[2] ”, permettant d’assurer l’idée d’une continuité ininterrompue de la personne. Il s’agissait alors de saisir un qui irréductible à tous les quoi, c’est-à-dire “ une forme de permanence dans le temps qui apporte une réponse fiable à la question ‘Qui suis-je?’[3]”.

Cette réponse, Paul Ricoeur l’a trouvée du côté de la parole donnée, telle qu’elle dit le maintien de soi :

 Le maintien de soi, c’est pour la personne la manière telle de se comporter qu’autrui peut compter sur elle. Parce que quelqu’un compte sur moi, je suis comptable de mes actions devant un autre. Le terme de responsabilité réunit les deux significations : compter sur..., être comptable de... Elle les réunit, en y ajoutant l’idée d’une réponse à la question : “ Où es-tu? ” posée par l’autre qui me requiert. Cette réponse est “ Me voici! ” Réponse qui dit le maintien de soi.[4] 

 

En substituant “Où es-tu?” à “Qui es-tu?”, Paul Ricoeur franchit un pas qui fait valoir la dimension proprement éthique de l’ipséité. Celle-ci s’avère, en définitive, (et jusque dans la recherche de son propre critère d’identification), suspendue au prochain : la définition de l’identité passe par la relation à autrui. C’est dans le maintien du rapport à l’autre que se définit le propre . Je ne suis assuré de moi-même que par ma fidélité aux engagements pris.

Jean-Michel Maulpoix


 

extrait de "Lyrisme et identité" in Adieux au poème, éd. José Corti 2005

© éditions Corti, 2005.

 



[1] Ricoeur, Paul (1990), Soi-même comme un autre, Paris, Éd. du Seuil.

[2] Id.

[3] Id

[4] Id., p. 195.