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Deux extraits du livre :


Revue de presse (extraits) :

  • "Dites-moi la neige", par Gabrielle Napoli, in La Quinzaine littéraire, mars 2004

  • "Cristaux de neige", par Nelly Carnet, in Europe n°901, mai 2004

  • Article de Laure Helms dans La Nouvelle Revue Française, n°570, juin 2004

  • Article de Monique Pétillon dans "Le Monde" du 23 juillet 2004


 

 

 

  La couleur du rêve

(lecture de Pas sur la neige, parue dans le numéro de juin 2004 de la Nouvelle Revue Française)

 

par Laure Helms

 


 

« Bientôt viendra la neige » : sur cette promesse s’achevait il y a quelques années L’instinct de ciel. Plus tard, Chutes de pluie fine laissait apparaître le même désir : « J’attendais que revînt la neige ». Dans Pas sur la neige, le motif, qui n’était qu’esquissé, est enfin célébré par le poète. A l’origine de ce livre, comme le suggère le titre, est l’écoute d’un prélude de Debussy, dans un paysage glacé d’Allemagne.

Chutes de pluie fine, Pas sur la neige : de pluie ou de neige, c’est toujours d’averse qu’il est question, de morceaux d’un ciel irrémédiablement tombé : « en neige, en pluie, qu’importe, l’azur ne pouvait que tomber. L’heure est passée depuis longtemps des prières et des chants. » Mais tandis que la pluie n’était que prétexte à l’évocation de voyages, la neige devient ici le cœur du nouveau livre de Jean-Michel Maulpoix. Dire la neige : tel est son objet, en se tenant au plus près du motif qui donne à l’œuvre son unité. La neige, qui serait également « l’autre nom de l’enfance », se trouve tantôt observée avec une rigueur véritable, tantôt rêvée dans ses prolongements et ses correspondances. Pour ce faire, l’écrivain ne s’arrête à aucune forme déterminée, sollicitant alternativement prose lyrique, récit autobiographique, poème en vers et écriture fragmentaire.

Six parties et trois interludes donnent sa structure musicale au livre, qui s’ouvre par un « Prélude », portant l’indication métaphorique de l’œuvre de Debussy, « Comme un tendre et triste regret ». En deux textes en prose, c’est pourtant le silence de la neige que donne à entendre ce prélude que l’on dirait écrit à l’encre blanche. Ainsi de cette définition de la neige : « Ce serait prélude ou sonate, si ce n’était silence, ce tournoiement de notes blanches, à même le ciel, en portées folles. » L’écrivain traduit ainsi un désir paradoxal : penché plus qu’un autre sur son passé, veillant sur de lointaines figures, interrogeant les traces de quelques passants, il est aussi celui qui voudrait ne jamais fixer ce passage, et que l’on surprend à rêver d’une écriture blanche. D’autres, bien sûr, l’ont précédé sur cette voie, tel Henri Michaux qui regrettait qu’écrire ne fasse qu’éloigner du « pur, fort, originel désir », celui de ne pas laisser de trace. Mais à défaut de poursuivre « blanc sur blanc », pour travestir le mot de Mallarmé, le poète recherche, afin de s’accorder au motif de la disparition qui est le sien, l’écriture la plus juste, la moins visible, ne se refusant pourtant pas de temps à autre des élans de virtuosité. « La neige danse », Debussy aussi le savait.

La deuxième partie de l’œuvre, de structure anaphorique, prête voix plus légèrement aux « Effets de neige ». A la méditation initiale fait suite une averse de métaphores, tantôt suggestives, tantôt ludiques, dont le poète sait pourtant qu’elles n’épuiseront jamais la neige, présentée comme une infinie « boite à images ». Puis, dans une étonnante « Poétique du flocon » qui constitue le premier interlude de l’œuvre, Jean-Michel Maulpoix s’interroge sur ce que donne à voir la neige. En effet, bien qu’elle semble sans cesse « dire adieu » et recouvrir la terre d’un deuil blanc, d’une poudre de linceul, elle est aussi celle qui fait « éclater l’azur », qui rend visible l’inaccessible et « cela que nous ne pouvons toucher des mains ». Avec délicatesse, celui qui affirme n’avoir jamais cessé de ressentir un « besoin de lumière » évoque alors cette double appartenance de la neige à la naissance et à la mort : « Prenant tant de soin d’effacer formes et couleurs, que désire-t-elle faire apparaître, si ce n’est ces deux pièces de tissu blanc où notre vie commence et s’achève, l’une pour le cri, l’autre pour ce que l’on appelle dernier soupir et qui n’est que le retour de l’âme à son mutisme. »

Dans « L’ombre bleue », l’écrivain interroge successivement l’art de Debussy et de Monet à travers le motif de la neige - autant dire de la tentation de l’inaccessible… « L’homme a des mains pour l’invisible », note-t-il en évoquant les folles équipées du peintre dans le grand Nord. « La beauté de l’air, ce n’est rien d’autre que l’impossible. Oh, si je pouvais me contenter du possible », semble lui répondre le peintre. Le deuxième interlude, « Giboulées », est une succession de six poèmes très brefs, proches du haïku, où se trouve suggérée toute la fragilité de la neige. Si la virtuosité s’exerce ici encore, c’est tout en douceur et presque précieusement. Ainsi :

« D’où venue et pourquoi si blanche

  Cette chute qui interroge

  Nos pas et notre provenance

  Est-il une autre chute

  De si peu de poids

  De tant de lumière ? »

La quatrième partie, « Chambres du temps », est une méditation en prose sur l’écriture. Les questionnements parfois angoissés des derniers livres ont fait place au désir d’apprendre de la neige « le murmure d’une allure plus calme ». C’est encore la neige, sans doute, qui induit le besoin de voir s’effacer le souci du style au profit de la sensation d’un toucher plus juste que le poète définit comme « un singulier contact avec la langue, voulant approcher le papier comme une peau ». Un toucher où se chercherait une forme de consentement, rapproché d’ « une espèce de paix blanche qui demeure du poème le vœu le plus cher ». Toujours en filigrane, s’exprime alors la volonté de réhabiliter un devoir du poète, dont on oublie trop souvent qu’il a, plus qu’un autre, le soin de la beauté, qu’il est d’usage de renier dans l’écriture contemporaine. Loin d’investir le poète de quelque mission ou pouvoir prophétique, Jean-Michel Maulpoix rappelle  simplement cette nécessité de continuer de poser sur le monde un regard et une voix justes, afin de lui donner en retour quelque chose qui se rapprocherait d’une espérance, à travers une parole qui ne ferait qu’entretenir le souvenir et le désir du chant. Le poète a ainsi pour tâche d’interroger et de « veiller sur la question. Penché sur nos raisons de nous tenir debout, il cherche le pourquoi du chant ». Ce faisant, il ne fait que prolonger l’ambition d’Yves Bonnefoy, écrivant dans L’acte et le lieu de la poésie : « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque la poésie et l’espoir ».

« La femme de neige », malgré son titre au singulier, entrelace plusieurs figures en une prose cette fois nettement autobiographique. L’écrivain fait alors une place émouvante, en forme de mémorial, à sa grand-mère, qui naguère lui apprit à écrire. Façon peut-être de reconduire l’encre à sa source, et de rendre hommage, à travers des pages où affleure encore le regard de l’enfant, à celle qui demeure son « ouvrière des signes », son « visage de papier ».

« Lumières naturelles », enfin, fait à nouveau place à ces autres sortes de pas sur la neige que sont les en allées du voyage. Le livre s’achève sur une « Poétique du brin d’herbe », manière de postlude qui met fin à la mélancolie blanche de l’hiver. Le brin d’herbe, dans sa singularité, vient ici humblement et joyeusement donner la réplique au flocon, participant de cette poétique du fragile, du peu et de l’invisible qui est aussi celle de tout le livre.

 

Pas sur la neige, dans son objet, dans sa forme et dans son écriture même, tend à la célébration, à la sublimation et … au poème. Pourquoi, pourrait-on dès lors se demander, si peu de vers ? Jean-Michel Maulpoix serait peut-être tenté de reprendre le mot de Nerval : « Je ne suis qu’un rêveur en prose » ... Sans doute le choix de la prose, même lorsqu’elle est travaillée par le vers,  permet-il aussi une analyse plus réfléchie du motif et s’adapte plus aisément à la méditation que poursuit l’écrivain. L’œuvre réunit donc subtilement prose et poésie, méditation et rêverie, atonie et virtuosité, sans qu’il soit finalement nécessaire de s’arrêter à aucune de ces déterminations. Peut-être faut-il en déduire que l’écrivain recherche en vérité autre chose… Comme il le remarque lui-même, « la neige convient à celui qui cherche désespérément la couleur ». 

 

Laure Helms