Il
se souvient de la petite soeur partie pour
l'hôpital une ambulance devant la porte le berceau
vide
Rester
allongé ne plus bouger attendre attendre encore un
seul geste pouvait briser le bleu d'azur et
porcelaine
Il
n'avait pas compris ne comprend toujours pas
"Elle
s'est absentée sous la pierre nue du petit
cimetière"
Dans
la cour des cris d'enfant séchaient sur des linges
trop blancs
Le
rêve se poursuit le songe est à la
traîne et tire le bras endolori
Il
voudrait bien poser la tête sur le bord du chemin
ne plus porter sa voix comme on vit au désert il
voudrait s'endormir
D'un
sommeil lourd profond
Il
voudrait tant tant de choses qu'il ne peut
nommer
Tant
de choses interdites au langage innocent
Il
voudrait bien renaître se laver de son corps faire
rouler la pierre
Il
voudrait bien lever le bras avant de
disparaître
Tenir
sa voix
Mais
l'effort est trop grand et sa fatigue immense tournoie
sur le ciel vide
extrait
de Pour une Ile à venir (Gallimard,
1988)
Le
coeur ressemble aux jardins que j'aime, tout
encombré de broussailles, d'orties, fleurs
sauvages, roseaux droits dressés. Parfois,
derrière quelque pierre brute, une terre
cultivée comme un jardin secret, fragile, assailli
de verdure. Puis cela disparaît. Les racines
lasses, renoncent à creuser le lent terreau du
temps.
S'il
est une clarté, ce n'est qu'à la
manière d'une sentinelle toute pétrie de
nuit, toujours sur le qui-vive (forme du
quant-à-soi).
Extrait
de Au-delà des Cercles (Gallimard,
1992)
N'avais-tu
pas ? N'étais-tu pas ?
Perdre
était le mot. Toujours plus nu il se
vidait
Jusqu'à
perdre n'être plus n'être pas et le
troisième
Terme
N'existe
pas n'a pas de nom ni de terme
Encore
criait-il
Où
recommence l'origine ce qui
Otant
le vêtement révèle la
douceur
D'un
corps sa nudité extrême et plus
bas
Délaisse
les raisonnements les démarches
spécieuses
Le
seul mouvement qui va du plus vers le moins
Ou
le geste contraire
Ce
n'est pas le but qui compte ni la source
L'intervalle
Seul
fonde l'intervalle seul
Délaisse
l'initiale et la finale
Va
déborde tout ce qui est
A
l'une et l'autre bornes
Excède
l'intervalle même
Ni
au-delà ni entre ni sur en aucun
Aucun
lieu ne se pourra jamais dessiner
L'espace
vide où plonge le regard
Sous
la paupière de chair
L'aveuglement
voulu vacant
extrait
de Main de Nuit (éd Champ Vallon,
1998)
c'est
toujours les enfants qui tombent dans les piscines les
rivières celui-là
tout
habillé tout ligoté il y est tombé
bien sûr on a dû le pousser
le
diable pour savoir qui ça bataille ferme dans les
media
tout
le monde participe au match on ouvre les paris ça
bataille ferme depuis longtemps oublié
le
petit corps ruisselant d'eau rigide quand on l'a sorti de
l'eau
on
l'a oublié puis longtemps l'intéressant
c'est les vivants le papier qu'on peut gratter
les
enfants c'est pas grave on peut en faire
à
la douzaine il suffit d'arrêter la pilule on
calcule spontanément
le
moment le plus favorable ça vient tout seul
l'amour
ça
se débite naturellement c'est une
denrée
avant
on disait de la chair à canon mais de nos jours
dans nos contrées les canons c'est juste pour les
défilés
dans
nos contrées les canons on se juche dessus les
soirs de grandes victoires dans les grands stades les
canons ils sont ailleurs
ils
tirent ailleurs les canons dans des pays où de
toute façon les enfants s'ils meurent c'est
d'autre chose c'était déjà
avant
la guerre de faim de maladie
dans
des pays où les enfants c'est pas grave ils en
font tant ils ne font que ça
les
enfants à la pelle ils les font et c'est à
la pelle qu'ils les enterrent
plus
tard c'est à la pelle qu'ils creusent
fosses
communes en lieux communs si communs ils tombent
ensemble
de
machettes en bombes ils tombent c'est beau un enfant qui
tombe
en
tombeau commun on y pense puis on oublie
envoi
un
peu de terre sur si petites chairs un peu de terre il
suffit de si peu pour recouvrir ces corps si peu pour
oublier
un
jour une main
toute
petite de la terre
a
dépassé une main s'est tendue s'est
repliée une main a pleuré toutes les larmes
de son corps une main a replié ses doigts une main
est devenue poing une main a pleuré sans larme ni
sang une main a gémi
frères
humains qui après nous vivez le
croirez-vous
tous
ces mouvements de pelle ils ne résonnent pas sur
les chairs dévorées
frères
humains ne nous pardonnez pas
nous
n'avons nulle excuse qui après nous
vivez
même
si le remords c'est toujours la femme tondue et le vain
coeur et c'est l'enfant tombé
sur
le chemin de jungle c'est l'enfant mutilé au creux
d'une vallée de mosquées en églises
de temples en synagogues c'est l'enfance
violée
dans
les bras du vieil art on l'appelle la guerre
extrait
de cette vie est la nôtre (éd Champ Vallon)