| Accueil | Le Blog | SommaireBiographie | Bibliographie | Pages lyriquesManuscrits  | Galerie | Traductions
| Anthologie contemporaine  | Pages critiques sur la poésie modernePages critiques sur la prose | Cours et séminaires |

| Le Nouveau Recueil | De l'époque... | Informations | Rechercher | Liens | E.mail   |

 

Antoine Emaz, Os

éditions Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2004

note de lecture par Delphine Langlet

 

Le clown est gris. Ni virevoltant ; ni vraiment enjoué.

Il brasse des grains de sable et bâtit des châteaux, modestes. Des grains pour des mots, et des bâtisses, images de poèmes, fissurés, petits blocs de vers ou de prose, qu’il voudrait solides. Ces grains, en tout cas, il les sauve de la noyade ; il les préserve d’une inondation générale, d’une dissolution promise par le temps au monde. C’est sa manière à lui, au poète, de montrer qu’il résiste, « une façon de peu », où il « y met les mains », et qui fait de la persévérance l’unique modalité d’exister.

Poésie où l’on nie aussi : mais pas le monde alors, ni les vertus du poétique, mais le vide, le néant et la posture éthique qui l’accompagne, nihiliste et résignée. Le non suppose un oui. Oui aux choses, aux souvenirs, à toute cette « vie sans vie qui reste », oui à ce « presque rien » dont on veut rendre compte, ce peu qui suffit pour garantir une présence. Oui aux mots, partant, qu’il « mordille », avec cette angoisse qui grandit avec l’âge et la chute du jour, et qu’il arrange selon son « mode [à lui] pour continuer. » Un mode en demi-teinte : variation de gris, comme la couleur des dessins de Djamel Meskache qui accompagnent les poèmes, du gris, aussi, comme la couleur du temps qui emporte tout sans heurt, comme la couleur du neutre qui rechigne à palpiter et nous oppresse de sa masse faussement immobile. Le poète a choisi son emblème, alors : le lichen, et ajusté son slogan « Lichen poésie lichen », officialisant, ainsi, un art parasitaire et gris à la surface des choses. Un peu rugueux. Plus âpre, c’est certain, que ce mot « mélancolie », qui coule, trop fluide, et ne retient rien. Trop brillant, peut-être, ce mot.

Les mots « brillent », cependant, avec Antoine Emaz, mais « noir », « ombres » du « temps comme plié », miettes que le poète ramasse et qu’il serre pour prolonger cette route, qu’il suit sans savoir où elle le mènera. Jusqu’à sa fin, voilà sa seule certitude. Les mots d’Antoine Emaz, ce sont alors les mots de l’ombre, ceux de la peur, avec lesquels son cœur joue la montre, des mots sans beauté, grattés jusqu’à l’os, « jusqu’à sable ou poussière ». « Tension jusqu’à rien » qui travaille le silence et aspire au temps mort. « Calme ».

« Ombre », « Os », « Vieux », « Peur », et finalement, donc, « Calme », cinq titres et trente-quatre poèmes, ressassés, épuisés comme la matière, justement combinés pour nous montrer, en définitive, que le calme est « à ce prix », accessible à celui qui décide d’être en veille, en écoute, et qui, mieux que les autres alors, devine dans le « bougé » de la vie les rares instants où le temps pose.

Delphine Langlet

Lire également sur ce site un texte d'Antoine Emaz