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Comme
pour tailler la pierre ou le bois, moudre le grain, coudre le fil, et
toutes les espèces de travaux humains, pour
l’infini aussi l’homme a des gestes. Ce sont ses mains qui
s’en occupent (et pas seulement lorsqu’elles se joignent), allant
sur des touches ou des cordes, rendant un son très singulier…
Avec
quels mots dire la musique ? Telle est la question toujours posée.
La musique affole ou fait taire
la parole. Résonner
plus loin que tout raisonnement est sa « raison d’être » :
faire entendre autre chose et tout autrement que ce que la parole donne à
comprendre.
Désireux
que la poésie rivalise avec la musique en sa prétention au « Mystère »,
Mallarmé s’y essaie. Et c’est alors comme le spectacle d’un
effort désespérant de l’esprit que son désir le conduit à métaphoriser :
Les
déchirures suprêmes instrumentales, conséquences
d’enroulements transitoires, éclatent plus véridiques, à même,
en argumentation de lumière, qu’aucun raisonnement tenu jamais.
Quelle
est cette « argumentation de lumière » ? Ou ce
« lever d’un astre sombre, enfin contemplé avec joie et terreur
par un esprit qui désespère de l’absolu » ?
Ou que sont les « falaises vierges de toute existence »
dont il invente la surrection ? Des oxymores pour faire silence ?
Des soupirs, des pauses ?
Mallarmé,
on le sait, ne se résigne pas. Le 10 janvier 1893, il écrit avec
fermeté à Edmund Gosse :
Je
fais de la Musique, et appelle ainsi non celle qu’on peut tirer
du rapprochement euphonique des mots, cette première condition va
de soi ; mais de l’au-delà magiquement produit par
certaines dispositions de la parole, où celle-ci ne reste qu’à
l’état de moyen de communication matérielle avec le lecteur
comme les touches du piano. Vraiment entre les lignes et au-dessus
du regard cela se passe, en toute pureté, sans l’entremise de
cordes à boyaux et de pistons comme à l’orchestre, qui est déjà
industriel ; mais c’est la même chose que l’orchestre,
sauf que littérairement ou silencieusement.
Cet
« au-delà magiquement produit par certaines dispositions de la
parole » que Mallarmé jusqu’en ses vers appelle musique
se donne à percevoir « entre les lignes et au-dessus du regard »,
« en toute pureté », c’est-à-dire dans l’oubli même
des phrases et de leur sens, lorsque les mots redevenus pareils aux
touches de quelque piano donnent à entendre plutôt qu’à comprendre.
Il faut que leur sens brûle sous les doigts du poète.
Peut-être
convient-il d’imaginer un œil capable de voir
la musique quand elle s’enlève dans l’espace, invisible et très
pure… Ou de songer à une oreille qui saurait la contempler,
comme on contemple un paysage ou un tableau…
Et
que dire du regard de ceux qui sont là, attentifs et silencieux, venus
pour écouter, dans une église ou dans une salle de concert ? Ils
semblent considérer le jeu du pianiste ou du violoniste, mais que
regardent-ils en vérité, sinon ce qu’ils ne peuvent voir, comme
lorsque sur la plage leurs yeux se posent sur la mer…
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