Extraits de Locturnes
Premières
pages du premier livre de J.-M.Maulpoix, publié
aux Lettres nouvelles / Maurice Nadeau en 1978
Il fait nuit
depuis trois jours, lune noire. Le monde est redevenu
cette phrase dilatée qu'aucune genèse ne
ponctue. Tous les vivants s'étiolent, ballants et
démunis. Les objets prennent de l'embonpoint, ils
se minéralisent. Les étoiles fatiguent :
bientôt on n'y verra plus.
Au marché
noir un cheveu blond s'est vendu à prix
d'or.
Seule cette nuit
grasse et pleine porte un autre jour en son ventre. Cet
hiver d'arbres chauves où guette l'il des
hiboux invite seul à d'époustouflantes
chevelures d'aurore ou de printemps. Sur la seule page
bien noire de nouvelles craies noctambules attendent de
tracer un alphabet imaginaire. D'autres enfants
apprendront à lire les mots de tous les
jours.
Ces papillons
blancs qui s'égouttent au bord du chemin d'encre
inventent en s'envolant une gamme complète de
couleurs et de sons.
Des
bohémiennes nues s'écaillent en
dansant.
Femme
allongée, jambes ouvertes en port, cherche
navire.
Elle rêvait
d'un enfant, son bateau d'aurore. Vieille côte
où nul soleil ne couche, elle s'est
éteinte.
Rien non plus ce
soir, que le clapotement des
vagues sous la
lune, môle que les algues mêmes
hésitent
à franchir.
La mer a fait
table rase de la nuit.
Soieries
d'été.
Nuit de corsages
entrouverts. Peaux brunes, la promenade est belle, fort
belle. Lamés des femmes ou des étoiles.
Etoffes brochées où sont écrits les
mots pétillants de l'amour. Poudre à nos
yeux. Bleu de vos cernes. La lune en son halo de
juillet.