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Etier d'Eugéne Guillevic

par Jean-Michel Maulpoix

 


Etier, éditions Gallimard,

Le dictionnaire de Littré offre du mot "Etier" deux définitions. Terme de saline, il désigne un "fossé ou conduit par lequel on fait entrer l'eau de mer dans les marais, pour s'y transformer en sel". Terme de marine, il s'applique à un petit canal qui aboutit à la mer ou à un grand fleuve, et qui peut recevoir de petits navires.

 

Le titre de ce recueil d'Eugène Guillevic fait donc image et constitue comme une ébauche d'art poétique. Chacun de ses poèmes est un chenal qui permet de passer de la terre étroite à la vaste mer, ou au contraire d'accueillir en un lieu familier des images chargées de lointains. Chacun fait de la parole l'endroit où quelque chose se décante, se minéralise.

 

Etier recueille dix années de poèmes. Relevé, réseau, élégie, exercice, ronces, analyse, herbiers de Bretagne, ces séquences successives tendraient à circonscrire un domaine, elle constituent plutôt une cartographie, un itinéraire. Étroite et fugace, chacune représente un chenal d'approche, comme le léger clapotement des vagues à l'heure de la marée. Le flux apporte des objets (bactéries, graminée) que le passant un instant accueille sur la grève.

 

Pour Guillevic, le monde est toujours extérieur et dérobé à l'homme. Les seuls échanges qui nous soient permis ne sont ni lyriques, ni enthousiastes, mais muets, et plus menaçants que limpides.

 

Nul repos, nulle communion. La poésie n'est pas ce qui se répand. Plutôt de la solitude concentrée. Chaque perception abrite une question.

 

Chez Guillevic, le monde semble de deux sortes : soit il se fige et nous glace dans la distance , soit il grouille, fermente et nous menace . S'il parle, ce n'est que pour nous apprendre comment mourir .

 

L' ailleurs demeure donc interdit . La mer est un grand songe avide dont nous ne connaissons en vérité que les rives.

Dépourvues de toute complaisance lyrique, les élégies seront dès lors ces épreuves de la solitude et du silence. De moindres paroles, fertiles d'humanité précaire. Le poème y va son allure la plus intime, la plus inquiète.

 

Car le monde qui bouge à peine et le temps qui meurt lentement, s'ils tracent avec précision les contours de cette parole abrupte, y font aussi trembler une révolte. Dans des mots frêles et rapides, le poète inscrit un espoir. Celui d'un royaume où l'on accède par paliers communs : "il suffit de venir dans un endroit plus ouvert, d'avancer, de pousser la porte quelquefois, de se glisser."

Le poème est la clairière des rendez-vous durables où s'équilibrent un peu les ressemblances.

 

 

 © Jean-Michel Maulpoix