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Quatre lectures de Mallarmé

Article sur l'ouvrage de LUCETTE FINAS, CENTRALE PURETÉ

Quatre lectures de Mallarmé

Belin éd. Collection « L'extrême contemporain », 144p.

(Article de J.M.Maulpoix, paru dans le n° 773 de La Quinzaine littéraire, le 15 novembre 1999)


Pour quiconque pense ou écrit en gardant souci de la langue, Mallarmé est un compagnon, un interlocuteur. Dès ses premiers mots, le livre de Lucette Finas en témoigne : les quatre « lectures » ici regroupées s'échelonnent sur vingt années (de 1973 à 1992). Témoignages d'une fidélité. Maintien d'une attention. Expression d'une soif. Magistrale leçon de lecture dont l'objet est la langue tout entière autant que l'oeuvre du plus singulier poète.

« M'introduire aux articulations de la langue, dans les rouages et les roueries du poème et, jubilant, multiplier le lu par le lisant &emdash;lisant puisé dans le lu, jusqu'à plus soif ». Ainsi Lucette Finas définit-elle sa démarche dont on comprend très vite qu'elle est aussi exigeante que jubilatoire. Sens et sensualité réunis, lire Mallarmé c'est entrer dans la danse figurative, suivre avec attention les « reflets réciproques » qui « s'allument » entre les mots ainsi que sur une « jonchée de pierreries », et voir comme par magie se lever un corps de ces éclats savamment distribués : « je relève la capacité de la poésie mallarméenne à faire se lever un corps de la dispersion même de ses membres » Ainsi poursuivant « l'explication orphique de la terre » qu'il entend comme le « devoir du poète », Mallarmé remembre-t-il celui qu'avaient dépecé les Ménades, non pour en restaurer la silhouette ou la voix, mais pour en sauver la constellation (on sait que selon la légende, après la mort du Poète, sa lyre devint au ciel une constellation...).

 

« Salut », « Le Pitre châtié », « Don du poème » et le troisième brouillon du « Prélude » des « Noces d'Hérodiade », ces quatre textes relus tour à tour, plume en main, par Lucette Finas, exécutent donc ici une sorte de danse critique où l'on voit jouer toutes leurs articulations et où dans la contorsion même, conduite jusu'à son point de rupture, se trouve mis en lumière le corps le plus vivant de l'oeuvre : sa langue, sa sueur, ses paillettes, son fard et ses mimiques. C'est Mallarmé qui bouge devant nos yeux, en nautonier, en pitre, en tête coupée; c'est son vers qui fait des pieds et des mains. Et parfois : « boite et bute. Le monstre, la chimère, le bossu, le tordu, c'est aussi, c'est encore le vers de Mallarmé. »

A l'exploit du texte mallarméen &emdash;prouesse toujours, exploit de langue&emdash; vient ainsi répondre, mais avec autant de modestie que d'humour, l'exploitation du texte par sa lectrice qui se trouve conduite aussi bien à s'exploiter elle-même, puisqu'une telle aventure d'écriture la contraint à tirer parti de tout « le système textuel » dont elle est porteuse. Ainsi le travail critique devient-il travail sur soi : attention à ses propres gestes, ses tentations, ses apories, ses choix. « Je » se met à l'ouvrage « dans le pur souci du texte » : le souci de sa toile, de son filage, de ses tissus. Devant le poème, ce « je » critique est pris de vertige : champion de « l'effet produit », Mallarmé a travaillé ses vers en y ajointant si savamment les moindres syllabes que la tentation devient irrésistible d'y voir et d'y entendre une myriade de relations toujours plus folles, jusqu'aux « frontières du supportable ».

Un humain d'ordinaire n'a que deux yeux, mais face à un poème de Mallarmé, tout se passe comme il en sentait s'ouvrir en lui d'innombrables : « des combinaisons de plus en plus nombreuses se présentent à lui, comme des écailles lui tombant des yeux » C'est qu'ainsi gouvernée par la loi de la réfraction, l'oeuvre de Mallarmé devient elle-même pareille à un corps dont chaque pore de la peau serait un oeil. Or, le « je » critique ici ne craint pas ce vertige : il l'affronte, il en fait état, il y résiste, il s'en désole mais il en témoigne. Il entre dans le jeu tel que l'a voulu Mallarmé. Il fait mine de tomber parfois dans le « piège hilare » des vers. Il se prête à « un détraquement subtil, minutieux, du potentiel de la mémoire ».

Encore ne s'en tient-il pas là : « En quoi consiste l'obligation de Je ? A charger de mémoire les morceaux de verre du texte brisé. A transformer le sonnet en (sa) mnémotechnie lectrice, en (sa) mémoire kaléidoscopique, en (son) ordinateur flamboyant. Ne croyez pas que Je soit heureux de ses trouvailles. Il s'en alarme. Il est exigeant sur elles. » Une rude partie est donc engagée, dont l'enjeu est aussi bien l'ensemble des virtualités du texte que « la concurrence de ces possibles ». Et cette partie est un drame où se trouve mis en scène tout l'effort de la lecture : scrupules, violences, tentatives ratées, bonheurs, trouvailles, reculs, bouffonneries ou désolations...

Entre le « je » de la lectrice et le texte de Mallarmé, on assiste à une empoignade. Parfois Lucette Finas interpelle le poète : « Idumée /Idée mue. Est-ce là ce que tu veux, Mallarmé (...)? » Parfois elle met en garde le lecteur qu'effraierait tel tournis, ou qui voudrait conclure trop vite : « Attention, lecteur! ce n'est pas n'importe quand, n'importe comment que, s'autorisant en plus du découpage mallarméen plume = plu me, on découpe verge en « vers Je ». Il y faut un texte suffisamment âpre à user de tout ». De sorte qu'en définitive, c'est bien un nouveau texte (non pas un simple commentaire &emdash; et Lucette Finas prend soin de ne rien répéter des gloses déjà connues) qui se constitue là, sous nos yeux, en écho et réponse à d'autres : théâtre du poème, essai, lexique, spectacle de l'intelligence autant que de la langue; à coup sûr tout le contraire de la vieille usure universitaire ou du slogan médiatique tel qu'il se moque des mots.

Ici, « la langue accouche à tout moment ». Ainsi l'a voulu Mallarmé. Si, pour reprendre l'une de ses formules, Victor Hugo « fut le vers personnellement », l'auteur d'Hérodiade fit un pas de plus : il fut la langue personnellement. Remercions Lucette Finas d'avoir su ainsi nous en faire prendre conscience.