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L'écrivain imaginaire 

de Jean-Michel Maulpoix

lu par Pascal Maillard

 

article paru en octobre 1994 dans la revue Europe.

 

Dans une prose apaisée mais inquiète, musicale mais toute tendue vers le silence, le dernier livre de Jean-Michel Maulpoix nous donne à lire la « photographie d'un homme seul fait de plusieurs ». L'écrivain imaginaire, voix dans la voix de ses pairs – Baudelaire, Rimbaud et Flaubert sont convoqués dans une manière d'autobiographie fictive – dessine le portrait éphémère de celui qui n'existe pas: juste un nom, à peine une image, « un écrivain est une créature imaginaire ». Un je polyphonique, à l'identité vacillante, construit une incertaine église où meurt, une fois encore, la religion de l'écriture. On se souvient que déjà, dans Ne cherchez plus mon cœur (P.O.L, prix Max Jacob en 1986), ce coeur mangé par les mots du poème, l'écrivain faisait « semblant de mourir » dans chacune de ses proses. Une histoire de bleu esquissait plus récemment « le visage de personne » se contentant « d'inventer les anges qui dorment au-dessous ».

Délaissant aujourd'hui le poème en prose au profit d'un texte plus long orga­nisé en un diptyque contrasté, l'écrivain imaginaire se penche longuement, tel un Narcisse Valéryen, sur l'acte d'écrire, sa lente venue, son mystère, sa disparition. C'est que l'écriture lui vient comme ses larmes, « de nulle part, sinon de quelque zone méconnue qui serait malgré les ans demeurée vierge et tendre, et d'où conti­nuerait de sourdre ce qu'il [lui] reste d'innocence ». Ayant infusé dans la mélanco­lie baudelairienne et « la chanson grise » de Verlaine, cette parole exigeante, puis­sante à dire « la merveille et le chagrin », épouse « une succession d'élans et de chutes qui lui tient lieu de savoir et de morale ». L'écrivain imaginaire a beau s'alléger un instant de sa mélancolie en s'adonnant à la poésie du monde moderne – « Nous avons violemment besoin de tout ce qui existe, comme de tout ce qui n'existe pas » –, il retourne incessamment à son amour de la langue, au pouvoir qu'elle a de rester à la lisière de l'existence: « une phrase dont la musique sonne juste, écrit-il, a parfois l'air d'un coeur qui se prendrait à battre ».

Comme la vie cependant, le langage est voué à la précarité. Certes l'écrivain a pu désirer « de longues phrases, vivantes et orchestrées, qui produiraient tout ensemble la sensation de la finitude et le sentiment de l'infini », elles ne doivent pas pourtant nous consoler de notre vie précaire et divisée. Ainsi Jean-Michel Maulpoix nous convie à méditer avec lui cela qui insiste si fortement dans sa prose, l'acte de mourir. Mais cette mort fait un bruit très doux: apprivoisée, absente-présente, elle est comme une larme qui reste derrière l'oeil, là où patiente le bleu du ciel. Nul recours à une transcendance car l'écriture est « une religion sans foi ni dieu, tout au plus une façon bizarre de joindre où remuer les mains en marmonnant d'inaudibles paroles, et de ne pas désespérer ». Tenant registre d'elle-même, mais tournée vers autrui qui nous est toujours « un livre à déchiffrer autant qu'à écrire », elle renoue avec la poétique montaignienne de l'essai, du doute, du recommencement, lorsqu'elle énonce pour finir ce qui la résume si fidèlement: « Mon ciel et moi allons boitant ». Entre le bord de mourir et le sentiment de la merveille la prose poétique de Jean-Michel Maulpoix nous retient.