Jacques Ancet

 


Né le 14 juillet 1942 à Lyon. Vit actuellement près d’Annecy. Agrégé d'espagnol. Enseigne en classes préparatoires aux Grandes Ecoles littéraires et commerciales.

Outre un cycle de poèmes romanesques – l’Incessant (Flammarion, 1979), La Mémoire des visages (Flammarion, 1983), Le Silence des chiens (Ubacs, 1990) et La Tendresse (Mont Analogue, 1997) et une longue prose, Image et récit de l’arbre et des saisons (André Dimanche, 1998) – il a publié une quinzaine de livres de poèmes, dont Le Bruit du monde (Paroles d’Aube, 1993), La Chambre vide (Lettres Vives, 1995), A Schubert et autres élégies (Paroles d’Aube, 1997) et L’Imperceptible (Lettres Vives, 1998).

Il est également essayiste – Luis Cernuda (Seghers, 1972), Entrada en materia (Cátedra, Madrid, 1985) – et traducteur.
Prix Nelly Sachs 1992, Prix Rhône-Alpes du Livre 1994, sélection du Prix Mallarmé 1998.

http://perso.wanadoo.fr/jacques.ancet/


Jacques Ancet
Un Homme assis et qui regarde

Collection les Lettres du Temps
ISSN 1281-6345
format 18 x 11 cm - 160 pages
ISBN 2-907410-19-9
Prix : 14,18 euros


     

    Jacques ANCET

    VINGT-QUATRE HEURES L'ETE

     

 

Dix-neuf heures

On ne cherche plus, on est

là, on écoute le vent,

son bruit de mer dans les feuilles

ou dans l'enfance. Le corps

va rentrer dans la douceur

de ce qui trouve un nom.

Entre le jour, son envers

il y a comme une fissure,

aux vitres comme des flammes

qui ne brûlent plus. Les mains

reviennent vers les objets,

les visages vers leur image.

Le souffle de l'éphémère

à sept heures tisse les

ombres, les détisse. Un peu

de cendre se mêle au bleu,

au présent un peu d'oubli.

Le soir ressemble à de l'eau:

on l'attend, on ne le voit pas.

 

Vingt heures

Que l'on compte huit ou vingt

on comprend que la lumière

est en sursis. Maintenant

dedans et dehors échangent

leurs privilèges. On habite

également dans les feuilles,

et dans les murs. D'un espace

à l'autre courent les fils

d'un impalpable réseau.

Les portes n'arrêtent plus

l'allée-et-venue des corps.

La lancette des grillons

larde la lueur des chambres

où pérorent les speakers.

Il faut revenir au ciel

qui est ce qu'on a de mieux

en matière de spectacle:

le rose traverse le bleu

l'ombre le clair, le clair l'ombre.

C'est l'heure de l'intermède.

 

Vingt-et-une heures

Quand le jour cherche à durer

la douceur de l'air revient

tout effacer. On oublie

le temps. Les arbres se prennent

à l'encre de leurs branches.

A l'intérieur des voix parlent

mais comme éteintes. Le ciel

devient trop proche: une braise

entre les feuilles. On ne sait

plus ce qui vient ou s'en va.

Chaque chose se retire

dans son ombre, disparaît.

L'instant est une lueur.

On reste dans sa clarté

avec juste ce qu'il faut

de corps pour ne pas se perdre.

Ce qu'on regarde, on l'oublie.

La bouche s'ouvre, se ferme.

Le compte n'y est plus. Peu

à peu on s'abandonne aux

délices de l'entre-deux.

 

Vingt-deux heures

Dix heures. Les chiens aboient

comme si on entendait

l'envers brutal du silence.

Comme si montaient de la terre

une violence de voix

acharnée à mettre en pièces,

le calme à peine conquis

de la nuit. De temps à autre

ils se taisent et c'est, sans fin,

un clignotement muet,

un bourdonnement de bouches,

quelque chose comme des

lèvres entrouvertes, des mots

sans suite qui s'éparpillent

Et puis les cris recommencent.

Ils disent l'heure des dents,

le noir qui s'est mis à luire,

une obscure transaction

de racines et de ténèbres,

l'invisible connivence

de l'étoile et du charbon.