Pour Christian Gardair, peintre,
La peinture de Vincent Van Gogh pousse vers le soleil. En flammes ou en brins, en petites touches de lumière serrées, ses tableaux sont des tournesols. Partout des champs d’orge ou de blé. Jusque dans le ciel dont le soleil est de paille. Jusque sur les murs de la chambre de Lazare, ou sur le visage de Joseph Roulin et de sa femme. L’émotion fait sa moisson de brins tout près de s’incendier.
Autoportrait en champ de blé, c’est ainsi que Van Gogh eût pu intituler le tableau qui le représente… « Avec l’entrain d’un Marseillais mangeant de la bouillabaisse », il peint les soleils par douzaines, à différents stades de leur floraison : d’un beau jaune de chrome sur font vert Véronèse ou bleu de roi. Certains, tombés à terre, à demi fanés, ont l’air de gros artichauts en feu.
Il ne peint rien d’autre que ce qui le brûle. Il ne cherche pas la nuance, mais la force. C’est folie, dites-vous ! Non, c’est l’invisible dedans oublié sous la peau ou sous les pierres qui remonte sous pression à la surface du tableau. Plutôt qu’à répéter la douleur et l’angoisse de l’artiste, il appartient à qui le suit à travers les tourments ou les joies de ses toiles d’y retrouver les délivrances momentanées qu’elles lui ont apportées : l’espoir d’une couleur qui tiendrait sa promesse.
Sa folie importe moins que sa façon de garder son calme. Quand on l’a trouvé mort, il portait sur lui une lettre adressée à son frère, avec ces mots : « tu as ta part à la production même de certaines toiles, qui même dans la débâcle gardent leur calme ». Ce sont là comme les derniers mots de la peinture. Il désire moins peindre ce qui est là, tel quel, sous nos yeux, que réveiller le regard endormi. Et, puisqu’un tableau est fait de touches et de traits, plutôt que de les effacer ou de les résorber en de soigneux glacis, il fait de chacun un signe où la peinture même s’affirme en son effort et sa folie d’être la musique silencieuse du visible. Jean-Michel Maulpoix
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