Après six livres de poésie
chez Flammarion, Esther Tellermann publie un récit,
Une odeur humaine, composé de trente-sept
courts chapitres (non numérotés) tissant un
long ruban textuel aussi envoûtant
qu’exigeant du point de vue du lecteur. Son
appartenance générique le soustrait d’emblée
aux proses majoritaires (écritures du moi,
essais, récits plus ou moins linéaires fondés
sur une diégèse immédiatement identifiable) ;
c’est très clairement à la famille
restreinte des récits
poétiques qu’il s’agrège ; mais
encore faut-il s’entendre sur l’acception
d’un tel genre. Dans la tradition des récits
de Blanchot ou de Beckett, on y reconnaîtra
d’emblée la perturbation des instances énonciatives,
l’apparente discontinuité de la narration,
l’entrelacs entre situations et commentaires,
l’implication énigmatique de l’auteur dans
un « je » lyrique jamais immédiatement
référentiel, mais jamais non plus coupé
d’une expérience à la fois autobiographique
et émotionnelle, selon un « engagement »
véritable du sujet de l’écriture dans son
dire. Le lecteur doit faire son deuil des
habituels points de repères narratifs qui
baliseraient son avancée dans le texte,
l’autoriseraient à cette lecture en « conduite
automatique » qui lui fait dévorer tant
de fictions, pour passer
le temps.
Se rappelle-t-on que la
première publication de l’auteur
s’intitulait Première
apparition avec épaisseur ? Et quoique
non immédiatement repérable, c’est par cette
préoccupation d’ordre onto-psychique que le
lecteur pourrait entrer dans son univers.
« (A)u lieu
de ne pas te permettre d’apparaître »,
déclare l’énonciatrice à propos de
l’objet de son énonciation, le fait de
« sépar(er) le son d’avec le sens »
susciterait un « soulèvement » du
langage au moment même de la profération du
nom lui-même (p.22) ; mais en revanche,
« Détournez les yeux, je ne veux pas
apparaître », ordonne-t-elle pour son
propre compte (p.58). La même n’avait-elle
pas, toutefois, déjà souligné « la
splendeur élégiaque (…) de moi-même enfin
visible où je suis ma propre épiphanie (…) »
(p.35) ? Une scène du miroir, où « l’on
se déshabille devant la glace »,
permettra – par l’intermédiaire de la buée
qu’y dépose la respiration – que « l’image »
s’y « dérobe (…) en un halo de brume
qui rappelle le premier amour » (p.64) (et
c’est ce halo qui fait effet de présence
dans l’image) ; l’échange amoureux
consistant, à son tour, en un corps donné dans
l’espoir d’en faire « le lieu d’un
combat pour ne pas disparaître » (p.104).
On s’explique du même
coup que la scène autobiographique, pour autant
qu’elle affleure à divers moments, se préoccupe
essentiellement de ces rapports d’existence
entre le sujet et son image, comme entre le
sujet et ses objets. A l’incipit du livre, où
l’on annonce qu’« il est impossible de
percer certains secrets », une femme se
promène « sur les boulevards de boutique
en boutique pour vérifier son image qui dispar(aît)
de façon naturelle » : la solution
de continuité des miroirs parisiens ne saurait
assurer au cours de sa promenade un permanent
reflet à la promeneuse, attestant que son être-image
n’est donc pas constamment « vérifiable »
(p.5). Or cette lacune phénoménologique dans
la perception de soi par reflet interposé
pourrait bien révéler – comme pour Peter
Schlemil la perte de son ombre – un douloureux
doute ontologique qu’aurait tragiquement creusé
l’Histoire récente – celle de la Shoah.
« Rien n’est vérifiable, beaucoup le
disent, c’est une simple erreur de
l’Histoire, c’est une odeur de gaz » ;
et du même coup le grand motif de l’odeur
– comme manifestant
la présence de l’humain dans la plénitude
de son incarnation – qu’on retrouvera en
conclusion de cette lecture, s’en trouve
affecté de son plus violent coefficient de néantisation.
L’évocation du père (« il meurt,
c’est ton père, il s’effondre »,
p.8), puis de l’émigration des parents (« ils
venaient de l’Est, (…), établissaient les
premières liaisons transversales avec la peur »),
comme la représentation de la diaspora juive
(toutefois ironisée, topique :
« Ils crucifient, c’est la peur, ils
accumulent les banques, c’est la peur, la
plupart prennent des routes latérales (…),
demain nous serons au bord de la mer (…) »,
p.8-9), dressent la toile de fond sur laquelle
s’enlève la question centrale du sujet –
elle-même visiblement héritée de la Nadja
de Breton, lançant son appel à l’exemple de
l’aviatrice perdue au large de l’Ile du sable : « M’entendez-vous ? » (p.53) ;
ou cette autre question, véritable leitmotiv
bretonien, orchestrant ici toute une page :
« Qui suis-je ? » (p.59). Avec
ce constat d’insupportable solipsisme :
« J’étais livré à moi-même comme
toujours au centre d’un incendie »
(p.124) ; « nous pensons avoir fait
place à une lucidité nouvelle quand nous ne
faisons que barrer le chemin prolongé en dehors
de soi » (p.146). Et à l’opposé, cet
espoir d’un « point culminant de notre
expérience où nous pourrions parvenir à un
entretien » (p.123), c’est-à-dire
consommer l’échange ou le dialogue, selon
lequel « deux êtres malgré leur scission
momentanée tendent toujours à se réunir et
peuvent atteindre à l’architecture d’un
drame lyrique à force d’intensité et de pénétration »
(p.129).
De ce point de vue, on
comprend le sens décisif qu’acquiert la
permanente instabilité des personnes d’énonciation,
qui constitue sans doute la part la plus
spectaculaire – et non la moins déconcertante
pour le lecteur – de la tension de l’écriture.
Cette tension joue essentiellement entre deux pôles,
l’un féminin, l’autre masculin, engagés
dans une guerre amoureuse aux innombrables
renversements. Dans un certain nombre de cas, la
présence d’un vocatif sexué permet de
confirmer le genre de l’énonciateur
s’adressant à une interlocutrice quasi générique
(« Mais moi
seul, Madame, moi seul peut parer à votre
effondrement », p.15). Mais on se gardera
d’identifier trop vite un dispositif symétrique
dans le cas, non moins récurrent, où au
« Madame » s’est substitué un
allocutif « docteur » ;
car il ne s’agit pas toujours – loin s’en
faut – de l’adresse réciproque d’une
femme à une instance masculine (ainsi, « Je
n’ai plus confiance, docteur, je suis surpris »,
p.26) ; et qui pourra affirmer qu’à coup
sûr tous les énonciateurs interpellant
« Madame » sont bien de sexe
masculin ? L’auto-adresse d’une énonciatrice
féminine n’est pas, à différentes reprises,
moins vraisemblable, sans qu’aucune marque de
genre permette d’en décider. Il faut donc se
résoudre à admettre une extrême labilité des
instances sexuées : à l’instar de
l’identité des « je » et des
« tu », qui peuvent aussi bien
renvoyer à deux instances affrontées qu’aux
deux versants d’une même instance –
d’ailleurs moins divisée, ou en lutte avec
elle-même, que provisoirement défusionnée
selon une double version d’elle-même. On
en voudra pour preuve l’identique discours
tenu tour à tour par l’instance masculine (« j’ouvrais
toutes ses lettres, j’aurais voulu partager
ses pensées », p.30), puis féminine (« je
l’ai toujours aimé il est à l’intérieur
de moi mais ça reste circulaire, je lis dans
ses pensées, je lis toutes ses lettres »,
p.34) : sous couleur du fameux Je
est un autre de Rimbaud (« surtout si
on se prend pour un autre », p.35), ce
sont les diverses déclinaisons de la fusion
psychique qui se donnent à lire – avec leurs
implications allant jusqu’à la possibilité
du délire, en particulier raciste, de la part
de l’instance masculine agressivement retournée
contre le pôle féminin (« c’est écrit
dans les livres les juifs qui empêchent…
(…) C’est les Juifs, ces manières déficientes,
ces figures obscurcies (…), Paris n’est pas
une brousse », p.31).
Traces de sadisme ou de
masochisme intrapsychiques, plus que preuves
constituées d’une relation duelle de sujet à
sujet, ces éclats de voix s’investissent dans
diverses directions également agonistiques. La
plus prégnante, sans doute, investit le double
registre de la grande lyrique amoureuse, tour à
tour dévolue aux deux instances sexuées :
« Mon aimée, je suis à toi, il me sied
de chanter ton nom » (p.33) – « je
suis poète, je dresse à ton nom ô aimé un
monument aussi pur qu’une séparation éternelle »
(p.37). Mais c’est pour l’inverser aussitôt
d’une double façon. L’élan sublimant peut
vite basculer dans le champ clos de la violence
pulsionnelle. Si le nom chanté se confond avec
« celui de la Déesse » (où passe
le souvenir de Nerval), le culte consenti à
cette Magna
Mater n’est pas de tout repos ; de la
même façon qu’« elle frappe, j’ai
bien le droit de tuer, on me tue » (p.37).
Et c’est en réalité à une Artémis-Hécate
funèbre que l’on a affaire – et non pas à
la grande Isis nervalienne de l’Origine
retrouvée, pacificatrice de toutes les tensions
(fût-ce au prix de la mort, regressio
ad uterum). La scène d’Actéon surprenant
Diane au bain ne cesse alors de rôder dans sa
double violence prédatrice (« On se
recroqueville traqué par les chiens »,
p.91) : Osiris lui-même n’en est que le
masque inversé – lui qui, au lieu de mettre
à découvert chez la déesse la différence des
sexes (et d’en être puni du sparagmos,
cette hyperbole de la castration), est « venu
combler le trou noir de l’aube », comme
un agent phallique réassurant la grande déesse
dans sa prérogative d’être celle de « l’âge
d’or d’un seul sexe » (p.37). En règle
générale, les « illuminations païennes »
invoquées le sont au titre d’une violence
phallique et fétichisante : comme en des
sortes de Lupercales inversées, il s’agit de
« brûler des lieux vierges et perdus »,
de « frapper des testicules », comme
de « poser un mot-tueur » (p.100).
Ainsi l’appel au « Sublime »,
maintes fois réitéré au fil des pages, se
voit-il dénoncé comme le leurre hyper idéaliste
recouvrant le fantasme régressif des origines :
une vulgaire « coercition immaculée du
quotidien » – lequel n’est en réalité,
Actéon jeté aux chiens, que « bave,
fatigue, perte de poids, vertige » (p.37),
déclinant tous les troubles liés à la guerre
des sexes. L’autre déconstruction de
l’amour idéal s’énonce frontalement :
« n’importe quel geste éclabousse le rêve
de l’amour, tant mieux, ce n’est qu’une
flaque sale, je suis debout, je ne sais rien
d’elle (…) » (p.57, redoublé p.58).
Une scène érotique
d’une grande intensité se déploie en effet
tout au long du livre, articulée autour de la
lutte entre la défense hystérique (féminine ?)
et l’assaut exploratoire (masculin ?).
Mais c’est pour croiser aussitôt les
positions : « L’hystérie aussi est
une offensive, une demande sans condition :
soyez tout pour moi » (p.29) – et
c’est un énonciateur masculin qui le dit, rêvant
aussitôt, selon le bovarysme
de l’Ailleurs romantique que décrivait déjà
un Jules de Gaultier à son ami Segalen, à
« des horizons comme une offrande »
(idem). Certes on reconnaîtra le vœu viril d’obséder la femme (« je voulais la garder infiniment sous moi
dans une chambre d’hôtel », p.100) qui
déclenche en elle l’angoisse classique de
perte de ce que Monique Schneider réfère au Heim, le chez soi de la cavité psychique interne menacée
d’invasion (« Elle étouffe, (…) la tête
est enveloppée d’un sac plastique »,
p.101). Réciproquement, on notera le Noli
me tangere d’une défense qu’on pourrait
dire féminine : « L’essentiel est
de rester hors d’atteinte, d’éviter
l’attouchement » (p.33) ; « moi
malade non non, c’est externe la défloration »
(p.35). D’où la complexité des nombreuses
représentations d’actes amoureux (p.54, 59,
64, 69, 71, 73, 75, etc.), en une mimésis
compliquée d’agressions, de jeux de miroir,
de cannibalisme psychique – ou de pertes et
retrouvailles dans la jouissance comme une nage
en eaux profondes.
La question centrale qui
dès lors est posée tout au long de l’œuvre
est celle d’un langage capable de prendre en
charge l’expression du drame du désir humain.
« (J)e t’avais cherché dans
l’insouciance, suspendu à ta préoccupation
comme à une matière dernière, tu disais ne
pas te reconnaître dans la langue que je
t’adressais mais il y a à l’intérieur de
chaque langue une marge réduite où nous ne
sommes pas mais où nous pouvons ne pas être étranglés »
(p.112) ; ce dernier verbe étant
d’autant plus significatif qu’à bien des
reprises l’énonciation érotico-lyrique
s’est brisée non sur un j’étouffe
mais sur son contraire, « j’étrangle »
(par exemple p.31). Car « Voyez, la langue
n’a aucune force propre, c’est le langage
qui lui donne sa force » (p.19) ; et
cette force, quoiqu’en mode de prose de
« récit », est celle-là même de
la poésie. Certes on trouve une dénégation de
cet ordre – mais inscrite significativement
entre guillemets (et donc ironisée) :
« je ne suis pas poète, c’est trop
facile de montrer le verbe inhumain dans l’éclat
de l’enfance. Non, non, je ne sais rien du
vide ni des oasis (…) » (p.22) ;
mais la métaphorisation même de l’énoncé
suffit à prouver le contraire – qui
constituera un leitmotiv
exotique parfaitement envoûtant, qu’on
envisagera dans peu. Car il s’agit avant tout
d’une énonciation
lyrique, celle de cette sorte de discours
dégagé par Käte Hamburger dans sa Logique
des genres littéraires. Au jeu complexe des
superpositions de voix tissant la sorte de moire
énonciative que l’on vient d’évoquer,
s’ajoutent les très nombreux emprunts
textuels, fragments remotivés du discours
quotidien – allant jusqu’aux familiarités
syntaxiques cassant la lyrique d’ensemble
(p.16, 26, 40, 55-56, 104), à quoi on pourrait
adjoindre la perturbation introduite par des
suppressions récurrentes de la ponctuation
(renvoyant à Apollinaire ?).
Pour couronner le tout,
le jeu fréquent des allusions intertextuelles
ne cesse de renvoyer à la plus grande tradition
lyrique. Voici d’une part cette voie royale de
la lyrique amoureuse, à maintes reprises invoquée
(mention a déjà été faite de Nerval, p.33 et
91), où « Béatrice, Viola, Laura »
– Dante, le Shakespeare de La Nuit des rois et Pétrarque – permettent l’hypothèse d’une
« théologie négative » de
l’amour, attestant l’inscription de sa
divinité dans l’en creux de son retrait et la
seule profération de son nom « sans référent
biographique » (p.89). A quoi il faut
adjoindre la « Gloria » chantée par
Christian Dotremont
(p.54), ou la cueilleuse de mimosa du
« Congé au vent » de René Char,
qui surgit dans la page auréolée de son
« sillage », comme « la
vibration d’une nourriture odorante, (…) du
rythme d’une hanche » (p.150), réapparue
en écho « comme une fille au détour
d’un chemin, tournant le dos à la terre »
(p.162), là où Char notait « la
rencontre extrêmement odorante d’une fille »
qui « s’en va, le dos tourné au soleil
couchant », et à laquelle on doit
« céder le pas du chemin » ;
ou enfin la référence insistante à Pierre
Jean Jouve : à sa « "matière
céleste" (p.38 et 79), à ses « années profondes » (p.38), ou à son « monde
désert » (p.59). Mais d’autre part
un vaste courant intertextuel emporte bien des
pages du côté de l’urgence métaphysique de
Baudelaire (de sa « charogne »,
p.49, ou de ses « Aveugles » :
« oui que veut dire être libres de lever
les yeux vides d’une étincelle aveugle ? »,
p.27), et de celle de Segalen peut-être (avec
son « expérience du réel », p.81),
mais surtout de ce sur quoi elle débouche –
l’exploration de l’Ailleurs selon Rimbaud :
celui du « Bateau ivre », avec la
« descente fiévreuse des fleuves »
(p.86), le « débouch(é) par l’estuaire »
d’un « voyage incompréhensible »
(p.117), l’« échapp(ée) à tout
courant » qui fait « sentir le flux
d’odeurs autres » (p.119), et, au
croisement des épopées de Conrad, la « remont(ée)
dans la trouée de la forêt impénétrable au
milieu des larges eaux que recouvre le désordre
des îles », avec au bout l’espoir
d’un « chenal qui couperait court à
notre désir de nous perdre » (p.124).
C’est sans doute en ce
point que tous les fils de l’œuvre ont chance
de se nouer aux yeux du lecteur. Car si « (u)n
grand voyage est souvent la forme indirecte de
l’amour » (p.150), réciproquement
« un amour n’est qu’un temps visité
par une zone laissée en blanc » (p.161)
– celle qu’admiraient déjà « les
enfants amoureux de cartes et d’estampes »
du « Voyage » baudelairien, alors même
que – précisément dans toutes ces « zones
laissées en blanc » des terrae
incognitae du désir (p.43) – « nous
remplissons l’enfance de lacs et de noms »
(p.140). L’entêtant motif du fleuve thématise
la pulsion amoureuse, d’abord en une dénégation
(il n’est « pas le Rhin le Gange »,
p.14), puis métaphoriquement comme « un
passage ouvert sur le Nil, le Gange, sur
l’Indus, oui l’Indus et le Rhin qui ajoutent
à l’emphase » (p.24) ; il faut
« rev(oir) Thèbes aux lueurs subsistantes »
(p.42), et que s’élève alors cette prière
de régénérescence fluviale : « apportez-moi
l’eau du Nil, du Gange, l’énigme du Nil supérieur »
(p.53). Le duo amoureux, en tant qu’il
recherche « une prise sur l’irréel de
(son) étreinte », peut espérer « ainsi
sa(voir) d’où viennent les fleuves »
(p.155) : accéder à l’amont de toutes
les sources, ou à celles mythiques du Nil, ce
serait trouver aussi bien le point de coïncidence
érotique de soi avec l’autre, que de soi avec
l’origine de son désir. On ne peut que
renvoyer ici au portrait
de l’amant en voyageur (p.46, 49), dont
les infinies variations assurent à l’ensemble
le caractère d’une partition musicale
post-wagnérienne (« ainsi/comme le
voyageur (…) », p.70, 75, 79, etc.) ;
analogie centrale elle-même prolongée par
d’autres, celle du nageur (« Ainsi le
nageur perd-il la notion de tout contour si ce
n’est de la lumière qui frise l’écume »,
p.73) ou du plongeur (« Comme le plongeur
nage en eau profonde sans savoir qu’il invente
d’autres passages (…) », p.86). Par
glissement métonymique, l’ensemble du paysage
exploré peut enfin métaphoriser le corps
caressé de l’amant (p.160, 167), donnant à
entendre que le modèle de la marche structure
à fois la progression dans le fantasme et dans
la page d’écriture (comme il est particulièrement
clair p.81).
Pourquoi, pour conclure,
« Une odeur humaine », à la fois
titre et mot de la fin (p.172) ?
« (O)deur de la première rencontre »
qui revient à la mémoire (p.149), expression
de soi donnée pour semblable à une « étreinte »
(p.72), manifestation du corps comme « habillé
d’un tourbillon d’odeurs » (p.67) –
on songe à la primauté de l’olfactif éclatant
chez Baudelaire, triomphant chez Proust :
au lieu d’ « ensevel(ir) l’odeur
humaine » (p.57), c’est à sa remontée
hors de la censure et du refoulement que
travaille un tel récit, qui à l’instar de
son personnage « marche » et
« ne lutte plus contre l’odeur de
l’homme » (p.43). On y verra le désir
d’incarnation d’une poétique capable de s’imaginer, à
l’exemple de la fantasmatique de ses amants,
« installé(e) définitivement dans l’être
comme dans l’éternité » (p.94) –
mais qui n’ignore pas que « la
conversion, la grâce » ne peuvent qu’être
en rapport d’équivalence avec l’expérience
bouleversante – comme un flacon débouché –
de « la finitude logique du vivant »
(p.110).
Patrick
Née
Professeur
à l’Université de Poitiers
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