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« Atlas, herbiers et rituels »  

par Jean Roudaut

extrait du Nouveau recueil n°76 septembre-novembre 2005

(Dossier consacré à "La prose du roman")

 

Le nouveau recueil

"Car j'installe, par la science,

L'hymne des coeurs spirituels

En l'oeuvre de ma patience,

Atlas, herbiers et rituels."

Stéphane Mallarmé, Prose (pour Des Esseintes)

 

 

  1. Une expérience prosaïque.

 

         Après l’épreuve du silence que ponctue le pas, le nomade recueille en sa parole les éléments de la connaissance, et avec patience les tisse. Telle est la mythologie qui aurait mené nos ancêtres de l’appel par le cri au don d’une énigme. Sentences morales et lois sociales constituent ce discours premier, scandé par un choc de canne sur la terre. Parole d’un devin que celle du vivant. Parole sans suite que celle du poème. Les rhapsodes, eux, ont, plus tard, cousu ensemble strophes et récits. Tout savoir devait être conservé dans une forme mémorable : les règles de l’agriculture (Les Géorgiques), l’art des jardins (Delille), les caprices des dieux (Ovide), l’articulation du savoir (Petite cosmogonie portative). Le vers devint une suite musicale trouvant ses appuis dans des contraintes sonores. Les longs poèmes sont épiques (ils concernent la collectivité), didactiques, car la personne se change par son langage, et moraux ; ils concernent le bon usage de soi et du monde. Dès le début de son aventure littéraire, Michel Butor incitait le romancier à retrouver ces qualités, et à concevoir le roman en prose comme le seul genre à même d’enseigner, de plaire et d’émouvoir. Apte à exprimer une réflexion philosophique, comme le font les récits de Platon, ou de Balzac, il peut se développer sous la forme de dialogue : l’art d’Ivy Compton-Burnett est issu du romanesque de Shakespeare ; et la théologie même est la figure principale des fictions de Chesterton ou de Klossowski. Il révèle la vérité du chimérique, ce qui séduit ; et l’inintelligibilité du désir, ce qui trouble.

         Dès que le livre fut une œuvre écrite et plus seulement récitée, le signe distinctif de la poésie devint le « blanc », à l’entour des marques noires, macules, logogrammes, hiéroglyphes ou lettres, pour qui est plus ou moins initié. En se passant de la mémoire auditive pour se transmettre, le poème, à la fois intime et intersubjectif, affirmait sa singularité dans le champ du visible, comme Un Coup de dés ou les Cantos. Mais le poème bref, après que Poe et Baudelaire eurent concassé le roman en vers, ne peut se saisir que d’instants : le fortuit d’une Apparition (aux yeux de Mallarmé), ou l’impression d’Epiphanies (selon Joyce) ; il est nécessaire pour la satisfaction temporaire de l’esprit de joindre ces moments dispersés, et de proposer à la pensée le reflet de son développement par la construction d’une histoire. En la poésie habite une intention de prose, qui se veut tissu conjonctif (la solitude incompréhensible mène au désespoir). Car demeure, après que les systèmes (les mythologies) ont fait la preuve de leur peu d’éternité, le besoin d’établir un réseau de correspondances imaginaires en lesquelles la personne et le monde échangent leurs qualités.

         En évoquant les recueils, et en présentant ses Divagations, Mallarmé parle d’« un livre comme je ne les aime pas, ceux épars et privés d’architecture ». Si soigneusement organisé que soit un recueil de pièces parfaites, il demeure délabré, même s’il laisse pressentir son intention, « un cloître quoique brisé, exhalerait au promeneur, sa doctrine ». La poésie a affaire avec l’achèvement, avec l’accompli (l’écriture en est régressive : le sonnet est issu de son dernier vers) ; la prose, elle, a affaire avec l’optatif, et l’inachevable.

         Les techniques dont use la poésie pour lier, par le truchement des mots, les éléments sensibles, sont les procédés de toute écriture : la métaphore met en écho des situations ; la métonymie produit un développement sans fin de ce qui est sans secret ; le suspens, comme un rejet une fin de phrase, fait attendre un dénouement. Le partage de la prose et de la poésie tient à ces effets de coupure : l’image s’entasse ; le vers se range en pile. La prose, elle, se poursuit jusqu’à l’épuisement des mots, ou de la patience.

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