Amertume
de la mer
par
Jean-Michel Maulpoix
La mer attend son
large, cherche ses eaux, désire le bleu, crache et
crie, s'accroche et défaille, quand son
écorce et sa coquille se brisent, et la fragile
ardoise de ses clochers, et tous les verres qu'elle a
vidés puis jetés derrière les
taillis.
La mer chuinte au
soir et peluche, avant de s'endormir, la tête entre
les bras, comme une enfant peureuse, quêtant dans
la nuit calme des idées d'aurores et
d'émoi, encore un peu de vin, de vent et de
clarté, un peu d'oubli.
Son gros coeur de
machine s'effondre dans son bleu; sa servitude
quémande son salaire de sel: quelques gouttes, un
bout de pain, un butin si maigre, pas même de quoi
gagner le large après tant de vagues
remuées tout ce temps!
Elle brûle de
se défaire du ciel qui la manie, la flatte ou la
conspue: ô ces ailes qui lui manquent, cet horizon
partout à bout portant! Verra-t-elle jamais se
lever son jour, dans la pénombre d'un
prénom de femme?
Elle n'a ni corps
ni chair à elle: elle revient de nulle part et
parle de travers, elle rêve à autre chose;
elle parle et rêve de choses et d'autres : pourquoi
donc ne pas dire que le temps à midi
s'arrête au fond d'un lac?
On prétend
que le bleu perle sous sa paupière: on la croit
folle, elle se désole, rêvant pour rien de
de branches et de racines, assise sur une espèce
de valise en cuir au bout de la plage où personne
ne viendra la chercher.
Quelle nuit, quel
jour fait-il dans sa tête engourdie de femme
assise? Elle ouvre en grand les bras aux enfants accourus
du large. Il lui plaît d'exciter leurs rires et
leurs éclaboussures, de baigner les pieds nus, de
lécher la peau claire.
Mais vivre n'est
pas son affaire: elle ne raconte pas son désir,
fiévreux d'images et de rivages; elle n'ira
guère plus loin que ce chagrin-ci, d'un impossible
bleu-lavande, celui d'anciennes lettres d'amour et de
mouchoirs trempés.
La voici d'un gris
de sépulcre, avec tout ce vide autour d'elle,
cueillant la mort d'un baiser brusque, suçant le
noyau et crachant le fruit, titubant comme le souvenir,
priant parfois très bas, brisant après le
rêve la cruche qu'il a vidée.
Son coeur est un
abîme qui recommence jour après nuit la
même journée obscure, qui chante de la
même voix brouillée le désordre et le
bruit, qui va, lavant sa plaie, toujours poussant pour
rien son eau pauvre en amour.