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                                 Hélène Dorion
                                
                                
                                
                                 
                                 
                                 ravir : les lieux
                                
                                
                                
                                 (extraits)
                                
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 D’ici
                                bouge la lumière. Regarde
                                
                                 le
                                vide lourd sur l’épaule
                                
                                 éparpillé
                                parmi les fenêtres.
                                
                                 
                                 
                                 Cherche
                                ce que tu appelles, l’impossible
                                
                                 mosaïque
                                silencieuse du voyage
                                
                                 et
                                la lampe qu’on dirait brûlée
                                
                                 par
                                le temps. Regarde seulement la pièce
                                
                                 où
                                résonne ta vie. L’ombre jamais vue
                                
                                 visible
                                maintenant, dans les yeux du soir.
                                
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Entre
                                toutes terres, le centre, la maison
                                
                                 plus
                                au centre, le jardin : sillons
                                
                                 que
                                tu racles, bêche de l’âme
                                
                                 tirant
                                vers toi le soleil
                                
                                 les
                                eaux de pluies sur les pétales 
                                
                                 à
                                peine apparus. Au cœur de ce monde
                                
                                 la
                                chair noircie du nom, théâtre des choses
                                
                                 que
                                tu livres aux vents. Quel oiseau naît
                                
                                 de
                                l’oiseau blessé ? Tu refais ta demeure
                                
                                 chaque
                                jour, on imagine le sol
                                
                                 sous
                                la main, l’arbre haut des saisons
                                
                                 le
                                ciel planté dans la fenêtre, le geste superbe.
                                
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Ici
                                l’escalier d’où monte
                                
                                 et
                                redescend l’histoire, en ce détail
                                
                                 que
                                tu incarnes. Des mots poussés
                                
                                 derrière
                                le silence. Peu importe
                                
                                 l’espace
                                qui te laisse à toi-même
                                
                                 
                                 
                                 –
                                et flotte entre ces murs, le craquement des
                                objets –
                                
                                 tu
                                vois la fenêtre, là remue le monde
                                
                                 un
                                vent d’aube, et les notes du piano
                                
                                 lentement
                                tournoient. 
                                
                                 
                                 
                                 Tu
                                poses le pied, c’est la mer 
                                
                                 qui
                                te dénoue. Tu oublies presque la plaie
                                
                                 la
                                pierre gisante, sur le fil de la mémoire.
                                
                                 Depuis
                                des années, tu regardes les branches
                                
                                 comme
                                des racines, qui s’approchent enfin.
                                
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Écoute,
                                comme une ombre 
                                
                                 s’avancerait,
                                la mer, l’inlassable
                                
                                 vol
                                des vagues qui claquent
                                
                                 contre
                                la terre, écoute
                                
                                 
                                 
                                 ce
                                monde devenu monde, à force
                                
                                 de
                                résonner parmi les ans. Ton enfance
                                
                                 est
                                cette matière fossile, un vœu
                                
                                 du
                                temps qui brûle à mesure.
                                
                                 
                                 
                                 Écoute,
                                et l’oiseau fuira encore
                                
                                 brisant
                                tes châteaux sur le sable
                                
                                 
                                 
                                 de
                                cette côte de l’Atlantique
                                
                                 où
                                tu vis s’en aller l’aube
                                
                                 et
                                revenir par tant de marées.
                                
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Le
                                balcon vacille, on se bouscule
                                
                                 pour
                                la première ligne, le dernier mot 
                                
                                 le
                                jour d’avant, le jour d’après.
                                
                                 
                                 
                                 On
                                met la main dans la poche du vent
                                
                                 on
                                en tire de maigres flocons
                                
                                 qui
                                flottent comme des corps 
                                
                                 et
                                bientôt s’écrasent
                                
                                 
                                 
                                 contre
                                les arbres pourris, l’hiver glacial
                                
                                 la
                                terre sèche, les murs incendiés des bâtiments
                                
                                 les
                                mâts où pendent des voiles que l’on déchire
                                
                                 et
                                traînent les drapeaux décolorés
                                
                                 le
                                banc où l’on passe le temps, les trottoirs 
                                
                                 où
                                l’on perd son visage
                                
                                 les
                                rues où il se fait si tard
                                
                                 les
                                compteurs désormais expirés.
                                
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Passé
                                les dunes, la pente abrupte
                                
                                 mène
                                vers la mer. La perspective se modifie
                                
                                 légèrement,
                                les nuages et les galets
                                
                                 se
                                fondent, le vent s’éparpille sur la peau
                                
                                 
                                 
                                 et
                                si l’on porte à l’oreille un coquillage
                                
                                 on
                                entend murmurer chaque souvenir
                                
                                 laissé
                                là, enfoui sous les marées.
                                
                                 
                                 
                                 Alors
                                le Derviche, avec l’écume, avec le sable
                                
                                 pénètre
                                la mesure
                                
                                 –
                                l’univers, le rien –
                                
                                 souffle
                                comme il danse : 
                                
                                 secoue
                                les draps de l’âme.
                                
                                  
                                
                                 
                                 
                                 
 
                                 
                                 
                                 
                                 Le
                                monde dévore nos paupières
                                
                                 au-delà
                                des rêves, de la rose 
                                
                                 que
                                mâche la nuit, nous vivons
                                
                                 comme
                                des feuilles enroulées 
                                
                                 autour
                                de l’horizon, nous flottons 
                                
                                 et
                                pour guérir de nous-mêmes
                                
                                 
                                 
                                 –
                                quand éclatent les fissures
                                
                                 que
                                se perdent les pierres
                                
                                 jetées
                                parmi les lambeaux des siècles –
                                
                                 
                                 
                                 nous
                                glissons avec les continents
                                
                                 cherchons
                                l’eau, cherchons le rivage
                                
                                 et
                                un jour l’image se retourne
                                
                                 le
                                Gardien des Lieux, à nouveau
                                
                                 se
                                penche sur nous.
                                
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 © Éditions de
                                La Différence, Paris, 2005
                                
                                 
                                 
                                 
                                 
                                
                                 
                                
                                
                                                                                                  
                                  
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