On lira des extraits d'un livre en cours de Quentin Biasiolo "Lettres à Camille" sur le site du Nouveau recueil.
Né en 1991, Quentin Biasiolo est normalien, agrégé de philosophie.
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L'art
d'accommoder les restes
On
pourrait croire que les poèmes en prose de Quentin Biasiolo ont été
écrits par son ombre. Étrangement en alerte, une attention
d'outre-tombe trouve à se dire en des phrases aussi précises
qu'elliptiques. Leur vitesse d'exécution est si rapide que le lecteur
se voit tout désemparé, en même temps que sollicité et séduit par cette
gymnastique mentale. Il ne sait plus où donner de la pensée ni sous
quel angle considérer ce qui pourtant est là, déroutant mais nettement
établi, mi-figue sur la page, mi-raisin sous ses yeux...
La
situation de départ est simple : inquiet de ses gestes, curieux de son
silence, un homme s'adresse à une femme, à mots comptés, avant que
celle-ci, à son tour, se substitue à lui et que deux paroles alternent
au fil des pages. Mais ces propos sont tenus d'une manière si vive et
si énigmatique que cela fait poème : sur fond de vie quelconque et de
dédoublement, l'unique se dessine. C'est bien de cela, semble-t-il, que
procède l'écriture : le singulier, le furtif, cueillis à même le
familier par une espèce d'oeil intérieur dont l'acuité photographique
s'avère considérable, surtout quand il s'agit de capturer des ombres.
"Nous
prenons garde aux saisons restées à l'intérieur de notre ombre", dit
l'homme. Ou bien : "Tu ressembles aux idées que je me fais de
toi". N'est-ce pas pour elle, cette femme en miroir, à la fois si
proche et si indépendante, qu'il change ainsi de focale, joue avec des
cadrages fictifs, et invente des géographies déroutantes, en ajoutant :
"j'ai moi-même quelques dehors à portée de main".
L'un et l'autre font jouer leurs ombres. Ils convoquent des souvenirs
de lectures, des échos de musiques que nous percevons en sourdine.
Comme celles de la vie quelconque fuyant au long des rues, ces traces
sensibles sont absorbées par ces organismes à capteurs sournois que
sont les poèmes : ils en livrent les restes. Ce sont les blasons de nos
ombres.
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