Poète, romancière et essayiste, Marie-Claire Bancquart a été Professeur de littérature française successivement aux Universités de Brest,
Rouen, Créteil, Nanterre, Paris-Sorbonne. Actuellement professeur émérite à la
Sorbonne (Paris-IV)
Elle a publié aux éditions du "Temps qu'il fait" une importante anthologie personnelle, sous le titre "Rituel d'emportement"
Poésie
Mais,
Vodaine, 1969.
Projets alternés,
Rougerie, 1972.
Mains dissoutes,
Rougerie, 1975.
Cherche-terre, Saint-Germain des prés, 1977.
Mémoire d'abolie, Belfond 1978
Habiter le sel, Pierre Dalle
Nogare, 1979.
Partition, Belfond, 1981.
Votre visage jusqu'à l'os, Temps Actuels, 1983.
Opportunité des oiseaux, Belfond, 1986.
Opéra des limites, José Corti , 1988.
Végétales, Les cahiers du Confluent, 1988.
Sans lieu sinon l'attente,
Obsidiane, 1991.
Dans le feuilletage de la terre, Belfond, 1994.
Énigmatiques,
Obsidiane, 1995.
La vie, lieu-dit, chez Obsidiane en coédition avec Noroît (Canada), 1997
La paix saignée, précédée de Contrées du corps natal,
Obsidiane, 1999.
Voilé/ dévoilé: recueil publié à Montréal en 2000 par les éditions "Trait d'Union".
Avec la mort, quartier
d'orange entre les dents, Obsidiane, 2005
Éditions numérotées, sur papiers du graveur Marc
Pessin: Voix, 1979; Mouvantes,
1991 -et, avec eaux -fortes de Jean-Louis Viard, Signes d'alphabet, aux éditions Manière noire, 1998.
Romans
Chez Belfond, L 'Inquisiteur, 1980; Les tarots d'Ulysse, 1984.
Chez François Bourin, Photos de famille, 1988 (puis dans la collection "J'ai lu") Elise en automne, 1991 (sélectionné au printemps pour leprix Renaudot; publié en Livre de poche).
Chez Bourin/ Julliard, La saveur du sel, 1994.
Aux éditions de
Fallois, Une femme sans modèles, 1999.
Essais critiques
Marie-Claire Bancquart a écrit des livres de critique, sur la période 1880-1914 (Maupassant conteur fantastique,
Minard, 1976,rééd. 1993; Anatole France, un sceptique passionné, Calmann-Lévy, 1984; Images littéraires de Paris fin de siècle, la Différence, 1979, en réimpression; Paris "Belle Époque" par ses écrivains, Adam
Biro, 1997; Fin de siècle gourmande, 1880-1900, PUF, 2001), et sur la poésie moderne et contemporaine (Paris des surréalistes, Seghers 1973; direction du livre collectif Poésie française 1945-1970, PUF 1995).
Éditions commentées d'Anatole France (Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1984-1994), de Maupassant (Imprimerie Nationale, et collection "Folio" Gallimard).
Nombreux articles sur les poètes contemporains)dans des revues(Europe), et publications de colloques. Direction du colloque André Frénaud, à Cerisy -la -Salle, 14-21 août 2000.
Prix
Grand prix de l'essai de la Ville de Paris, grand prix de critique de l'Académie Française.
Prix de poésie : Max Jacob, 1978. Alfred de Vigny,1990.Supervielle,1996.Prix d'automne de la Société des gens de lettres, 1999.
A consulter sur sa Poésie:
Un livre : A la voix de Marie-Claire Bancquart, éditions du
Cherche-Midi, 1996, réunit des articles de G-E Clancier, Jean-Claude Renard, Andrée
Chedid, Lionel Ray, Claude-Michel Cluny, Jean Orizet, Vahé
Godel, Salah Stétié, Michaël Bishop, Pierre Brunel.
Un numéro spécial de la revue La Sape, "Marie-Claire Bancquart", novembre 1998, avec la collaboration de Gérard Noiret, J-B Para, Christian
Doumet, Richard Rognet, un article et des traductions de Elisabeth Lange, des traductions de Michaël Bishop, Marie-Louise
Lentengre, des poèmes inédits de M-C Bancquart.
Un "fronton" de la revue Autre Sud, Marie-Claire
Bancquart, juin 2000, avec des poèmes inédits, des articles de Georges-Emmanuel Clancier, Dominique Sorrente, Pierre Brunel, et un entretien avec Bernard
Mazo.
Un numéro spécial de la revue Nu(e), janvier 2001, avec des poèmes inédits, un entretien avec Richard
Rognet; gravure de Pierre Dubrunquez.
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Marie-Claire
Bancquart
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Bio-bibliographie
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Choix de textes :
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COMME SI LE MATIN SERVAIT TOUJOURS
Les statues assises
accueillent
dans les tombes étrusques.
Des paroles d'amie malade
traversent les murs.
Pourquoi ne veux-tu pas t'habiller de noir; un peu en avance ?
Pourquoi ne pas dire aux autres de venir au repas de mes funérailles,
que je présiderai ? Ce sera une manière de m'habituer à l'absence.
- Mais il ne viendra personne, répondons-nous. Ils savent déjà que
tu n'es plus au monde.
-Crève donc, dit-il
en lisant les annonces funéraires du journal.
Il n'aime pas les morts
leur manière de ne plus souffrir
de ne plus attendre
dans l'entre chair et peau
la tumeur gonflée, ou dans les os
cette vrille intermittente, qui creuse.
Peuh, les morts !
Lâchés dans leur trou
ils ne patientent plus sur un banc de métro
ils ne farfouillent plus au rayon « poésie »
pour trouver un recueil pas trop cher
ils ne demandent plus
s'il vaudrait mieux, comme en espagnol, un point d'interrogation
avant comme après la phrase en énigme.
Peuh, les morts !
Doucement
un rat monte depuis l'égout
marqué au même nom que la rue où ricane
le lecteur du journal, en route sans savoir
vers le mortellement correct de sa chronique à lui.
______
Cette impression râpeuse qui nous prend
d'équivalence
entre le beau tableau et la courtepointe en patchwork.
Nous sommes râpés fin nous aussi
nous nous souvenons des doubles vitres des maisons russes
entre elles
des insectes crevés
miettes
le long des rainures
nous :
des fragments
enfermés
dans la mince atmosphère.
______
Maquille
tes meurtres menus
répondeur en marche
quand un ami triste téléphonerait
oubli de l'herbe
tellement exilée
entre deux pierres, sur un trottoir de ville.
Le couteau crisse sur
ta pomme quotidienne
transverbérée par les micro-ondes.
Tu manges sa mort.
Future mangée
tu méprises, tu heurtes ?
Une clarté te vient
de dessous l'imposture.
Le soir, seule, tu fais tes comptes de massacres.
______
Tu déplies ta robe comme un autre moi
qu'on pourrait prendre à bail
mais la pluie sèche de la solitude
tambourine tellement sur ta peau !
tu te bouches les oreilles et te jettes nue
visage contre lit
comprimant tes paupières
pour voir au moins quelques signes pourpres
à travers la vie.
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Le sommeil, le bonheur
On les agace aussi
d'un tiroir ouvert, qui grince
et montre au dormeur éveillé
les lettres malveillantes avec les chères photos
conservées pêle-mêle
et
finalement
comparables entre elles
dans la débandade des minutes.
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Le matin,
chatte, tu peux
frotter ton nez contre le mien.
Je t'envie.
Ta chance
Moïse même ne l'eut pas, avec son Dieu à lui.
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Au début mars
les racines fendent la peau des graines
la fenêtre
libère
une mouche engourdie.
Nous recommençons
comme si nous n'avions pas été moulus jusqu'aux os
comme si le matin servait toujours
avec son fragment de ciel entre les maisons.
Nous ignorons une fois de plus l'autrefois
pour croire ces heures
à l'aventure.
Ecrire en poésie...
Je suis quant à moi très attirée par les « choses de rien » couleur de légumes tombés sous les étals du marché;
flaques-miroirs; odeurs d'un porte-monnaie ; détail de sculpture, très soigné malgré la grande improbabilité qu'on le regarde, tout en haut d'une colonne d'église; insectes fragiles et de structure complexe qui vous tombent sur un doigt, l'été. Tout cela vit fort, à la dérobée, et nous fait crier: « Terre! »
Mais ce n'est pas pour m'en tenir à ces choses que je suis en état d'étonnement devant elles. Pour moi, elles sont, à la fois, elles-mêmes et un rappel, d'autant plus notable qu'il est plus furtif, que nous appartenons à la totalité et à la vulnérabilité du monde. Elles font partie d'une formule de l'espace qui me séduit. Comme me séduisent certains paysages, essentiellement urbains. Ou encore des paysages avec ruines, telle la campagne romaine: avec celle-là intervient aussi une formule du temps, qui joue également dans l'évocation de légendes ou de mythes. On va de l'immédiat au passé, par courts-circuits, par sautes qui se déclenchent spontanément, comme, quelquefois, elles se déclenchent de la cerise à l'univers.
Ne croyant ni aux dieux ni à un dieu, je désigne par là un univers immanent, un ensemble de forces qui sont fragmentées dans les corps. A saisir sur-le-champ, ces fragments, dans un fragment de temps! Ils éblouissent alors; on ressent le besoin de les fixer. Mais, fragments, ils disent aussi un manque : ça vit, mais ça crispe et ça casse. On n'arrive pas à la saisir, la totalité. Dire que nous ne voyons même pas l'intérieur de notre corps ! Constamment transférée de la célébration à la réclamation », à la constatation d'une carence, c'est comme cela que jai du même coup été portée à écrire en poésie, selon un régime autre que l'écriture du (de la) critique littéraire que je suis dautre part -aimant beaucoup essayer d'entrer dans les mentalités et techniques des autres - et encore autre que lécriture de la romancière, qui invente des personnages et des situations.
Mon « écrire en poésie », c'est bien mon« être ». Mais il y a encore autre chose: cet« être» se dit avec et par un travail décrire. Un poète utilise une langue qui est à tout le monde. On ne linvente pas, j'en suis persuadée. Je suis intéressée, mais pas conquise par les essais de transformations ou de biffures généralisées qui se sont manifestés depuis les guerres mondiales. Mais cette langue, un poète ne l'emploie pas à des fins de communication utilitaire, ou en essayant d'être compris tout de suite par tout le monde. C'est pour cela que le lecteur ou lauditeur de poésie a souvent besoin d'une certaine préparation, dont on commence heureusement à sentir la nécessité. Lexpression poétique est toujours en évolution, ce qu'il faut, bien sûr, comprendre et admettre; en outre, elle parle de ce dont on se tait souvent dans la société, le pas vendable : angoisse, mort, bonheur de riens ou (et) bonheurs extrêmes, élans. Ce qui constitue le fond dérangeant de la vie, quoi !
Les mots dans la poésie n'ont pas une signification univoque : comment serait-ce possible, puisqu'ils essaient dexprimer une énigme, aussi bien de la joie que de l'inquiétant ? C'est bien certain, quand il s'agit d'un objet qui apparaît fantomal et fantomatique, miroir (carrelage); mais c'est vrai de tout ce qu'on regarde de près en se demandant ce que ça veut dire. Plus les choses sont simples, plus elles sont mystérieuses.
Pour moi, il en va de même, ou du moins on essaie quil en aille de même, dans le poème. Plus c'est simple, plus cest travaillé de l'intérieur par des violences et des incertitudes. La difficulté ne vient pas d'une expression obscure qui épaissirait encore le mystère, mais d'un improbable, que la langue traverse d'une certaine lumière. Pour cela, elle se tait, aussi. Rôle du blanc: il est distance et silence, intervalle qui mime celui qui nous sépare du monde et de nous-mêmes, mais qui appelle aussi aux chaleurs et aux intimités, même précaires.Rôle des décalages: hoquets à l'intérieur du vers, ou surgissement subit d'un rythme traditionnel et apaisé. Jeu sur le muet, qui établit des à-peu-près dans le rythme. Tout cela en sachant bien que les mots ne sont qu'une approche, ne correspondent pas tout à fait aux choses, eux que j'ai appelés dans Énigmatiques « le braille du vivant »... Encore un intervalle, qu'on essaie de diminuer en écrivant au plus juste, mais sans se leurrer: on ne le supprimera pas.
N'empêche: ils sont une chance, les mots. Notre chance, notre privilège. On a tellement parlé du malheur du poète et de l'échec de la poésie, que je tiens à dire combien, malgré des difficultés en tout genre, la poésie me semble représenter un besoin vital, une énergie, un moyen d'« être (un peu) là » en approchant le monde.
Extrait de "Voix majeures", Marie-Claire
Bancquart, Poésie 1, mars 2000.
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