Phot
Stéphane Mallarmé, Variations sur un sujet La Muse araigne (fable)
Que
fait l’araignée dans son recoin d’ombre ?
Là où toute vie s’est arrêtée, elle sécrète
les formes les plus fragiles. Poursuivant son
ouvrage de bave, elle ne bâtit pas, comme
l’oiseau, un nid de paille et de boue. Elle ne
prend pas comme lui son envol. Immobile, elle dévide,
elle ourdit sa toile. Elle convertit l’heure en
espace. Sa demeure n’est pas posée sur les
choses, mais suspendue dans l’intervalle qui les sépare.
Elle prête ainsi au vide une géométrie, une
structure, des attaches. Elle le donne à voir. Matière,
mais si impondérable, si fine que nul ne pourrait
sans la détruire la prendre dans ses mains. Rien, cette écume, vierge vers... Telle est aussi la toile d’encre du poème.
Il faut penser de tout son corps,
écrivait Stéphane Mallarmé à Eugène Lefébure
le 27 mai 1867. Tisser avec sa propre vie ces minces
rideaux que sont les phrases. Une fine toile de sens
et de sons. Solide et musicale autant que précaire.
Et devenir alors soi-même, dans l’expectative de
la chambre, pareil à cet insecte énigmatique et
obstiné. Ou
pareil à la boîte en bois du violon dont les
cordes vibrent. Un poète est un instrument à cordes. Il suspend sa petite musique dans les angles morts de cette vie.
JMM.
L'instinct de ciel,
Mercure de France, 2004
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